Mon amie Eva très jolie m’avait conviée à une dégustation de bières du côté de Bonne Nouvelle. Il pleuviotait. J’arrive comme un vieux matou trempé au milieu d’une grouée de filles. Nous nous attablons et un maître dégustateur de bière nous initie à cet art inconnu. Pour faire dans le ton de la gente féminine présente plutôt portée sur le miam nous eûmes droit au désormais incontournable accord mets-ici bière. Des sushis donc. L’irruption tardive d’Isabelle la cathodique à mes côtés ne réussit pas à me troubler. Discipliné j’ai goûté. Mais comme mes chères consœurs, dans un bel élan, ont conté par le menu la séance, fort intéressante, j’ai décidé d’aller sur un autre terrain qu’elles. Faut pas lasser !
Pour attester que vin et bière viennent quasiment du déluge j’ai emprunté à Outa Napishtîm, le Noé sumérien, mon titre. Celui ayant construit sa fameuse arche fait cette confidence à Gilgameh « J’ai offert aux artisans le jus des vignes, le vin rouge et le vin blanc, et aussi de la bière pour qu’ils en boivent. »
En interdisant la viticulture dans les régions de Gaule aptes aux céréales, afin de protéger les vignobles de la péninsule, l’empereur Domitien ne le fit pas exprès mais son arrêté fut pour beaucoup dans le développement de la bière dans la partie septentrionale de la France. La bière, qui n’était alors que cervoise (ce fut « un mot nouveau qui correspondait à une technique nouvelle »l’introduction du houblon) appellation usitée jusqu’au XVIe siècle, était une préparation artisanale, voire ménagère. En 1600, Olivier de Serres constatait que « le temps de ce mesnage n’est restreint à certaines saisons de l’année vu que on a du blé ou orge dans son grenier. Alors que la réussite du vin est liée périlleusement au raisin (que l’on n’entrepose pas d’une saison à l’autre). Tous grains bons au pain sont aussi propres à la bière. »
« cependant, en dehors des territoires vraiment méditerranéens où tout le monde buvait du vin, du meilleur au pire selon ses moyens, de la Loire à la Baltique le choix de la boisson (bière locale donc bon marché, ou vin local ou importé mais toujours plus onéreux) relevait en quelque sorte de la « conscience de classe », comme le fait remarquer Léo Moulin, puisque la voix de cette conscience parle souvent du fond des porte-monnaie : « Il y a des boissons nobles, le vin. Et des boissons roturière, la bière. » et Moulin de de nous citer ce petit poème du XIIe siècle, extrait du Livre de vie et de mort :
Li povre vont à la cervoise / Si elle bone, il i font grande noise / Et li plus rike vont au vin / U a mies ou a lewekin.
Nota : la mies est une petite cervoise légère et le lewekin une cervoise forte et sirupeuse.
L’histoire de la bière est passionnante mais il me semble, qu’en dehors de notre Léon national, peu d’entre vous savent comment on élabore la bière. Je vais donc vous faire progresser pas à pas dans le processus de fabrication de la bière : 13 stations :
1- Le stockage prolongé du grain (orge, blé, riz, mil…) ou du manioc…pour qu’il termine sa maturation en développant des amylases dont lerôle est important au cours de la germination.
2- Les trempages alternés avec des séchages, douze fois de suite en 90 heures, gorgent le grain d’eau très pure jusqu’à saturation.
3- La germination durant 30 heures sur des trémies dans une atmosphère chaude et humide qui permet aux amylases de digérer l’amidon pour le transformer en sucre. On obtient ainsi le malt.
4- La dessiccation dite aussi touraillage, arrête la germination et bloque la fabrication des sucres à un point précis sous un air très sec et très chaud. C’est à ce stade que le malt est plus ou moins rôti et que le bière prend sa couleur et sa douceur ou son amertume.
5- Le dégermage fixe le goût de la bière en éliminant l’âpreté due au tanin des germes.
6- Le broyage réduit le malt en farine.
7- Le brassage : opération majeure où l’on mélange et on remue le malt soit en infusion dans de l’eau de plus en plus chaude jusqu’à 75°, soit en décoction par ébullition d’une proportion du malt reversée sur l’infusion dissolvant parfaitement les sucres.
8- Le premier filtrage élimine les déchets et affine les moûts épais (les drèches)
9- Les lavages à l’eau très chaude rincent bien les drèches et l’on rajoute le filtrat au premier filtrage.
10- L’ébullition voit la stérilisation définitive des amylases et l’adjonction du houblon au moût, tiers par tiers, pour obtenir à chaque fois une quintessence différente.
11- La fermentation, après plusieurs nouveaux filtrages, en cuves ou « guilloires » se fait « haute » lorsque le refroidissement est conduit jusqu’à15° maintenus pendant 5 jours, ou « basse » à 6° pendant 8 à 10 jours. La bière bout, les bulles se forment.
12-L’ensemencement se fait alors avec de la levure délayée, préparée avec des races de bactéries sélectionnées selon les goûts recherchés de la bière.
13-La garde en foudre de chênes qui permet à la bière de vieillir pendant 2 à 3 mois puis on la met en tonneaux, en futs ou en bouteille après une ultime filtration.
Quelques points importants :
1- La pureté de l’eau : pour les amateurs, chaque source imprime à la bière son cachet, et l’on parle de crus reconnaissables par les palais des connaisseurs.
2- Le degré d’alcool dépend de la fermentation plus ou moins poussée. Le dgré n’est pas un critère de qualité pour une bière.
3- La couleur est fonction du touraillage, dessiccation brutale du malt, et de la torréfaction.
4- Le rôle du houblon est important et composé. Les « cônes » utilisés sont des fleurs femelles renfermant des résines antiseptiques responsables de l’amertume, mais aussi des huiles essentielles apportant le « bouquet » (doux, fruité, ou « vineux »).
5- La pasteurisation la plupart des bières de grande diffusion sont pasteurisées. Pour les amateurs, seule la bière fraîche et vivante est de la vraie bière mais elle se transporte et se conserve plus difficilement.
6- La mousse : elle couronne le verre et développe les aromes. Pour les amateurs elle permet de juger de la qualité du produit : tenue, finesse et persistance sont autant de critères. Certaines mousses de grandes bières peuvent tenir un quart d’heure.
Les photos sont l'oeuvre d'Isabelle la Cathodique