Nous vivons une époque formidable : en deux coups de clic à pot – équivalent postmoderne du coup de cuillère – des jeunes gens très je sors de HEC et j’ai un buiseness plan qui va tout péter – vous allez pouvoir, grâce à des algorithmes gouteux, des abaques saignantes, accorder votre mangeaille avec le canon ad hoc www.findawine.com . Attention ce n’est pas le truc miteux griffonné sur de vulgaires contre-étiquettes, genre à consommer sur des grillades, non sur votre écran vous aurez droit à une précision quasi-chirurgicale. C’est tout juste si nos jeunes Paganini du «je trouve tout en ligne» n'aient pas encore inventé le moyen de faire porter jusqu’à votre palier par un Nectar de Nicolas revisité, le flacon choisi en fonction du frichti par votre ordi devenu intelligent. Je suis taquin bien sûr, c'est dans ma nature.
Sidi Brahim 1942 « bu au Cinq, le restaurant du George V ! Il faut le faire - trouvé à l'aveugle par notre hôte, un sommelier hors pair - grand vin agréable et typé »
Pour illustrer la démonstration, d’une manière un peu plus captivante que celle à laquelle j’ai eu droit dans un « modeste » appartement de la rue de Varenne je vais imaginer deux cas de figure possibles :
1° Soit madame Antoinette Dubois-Decharme, dont la bonne à dégotté des perdreaux truffés de plomb au marché bio Raspail et des choux bio, à juste raison veut faire des perdrix aux choux pour le déjeuner dominical mais, comme elle estime que son époux, l’austère Louis Gabriel Dubois-Decharme, ne sait pas distinguer entre un Châteauneuf-du-Pape de chez Perrin d’un Vieux Papes de chez de rien, elle actionne son aîné Louis-Ferdinand qu’a fait HEC pour qu’il tapotât et qu’il mulotât sur un nouveau site très pointu, très sioux www.findawine.com, qui sans coup férir affichera tout ce qu’Antoinette Dubois-Decharme souhaitait : le château, le millésime, les prix, les notes Parker, plein de trucs savants et bien sûr là où la bonne pourra en Vélib allez l’acheter chez le caviste qui l’a en stock. Fermez le ban, tout le monde est content.
2° Maintenant inversons les facteurs : monsieur Eudes Louviot, grand amateur, qui saurait vous réciter sans hésitation le classement de 1855 ou toutes les communales de la Côte de Nuits, dont la cave est une petite merveille souhaite pour fêter l’accession de son aîné Louis Alphonse à Polytechnique lui faire découvrir les joies d’un La Tâche d’un millésime rare mais il estime que Marie-Chantal Louviot, née du Puy du Fou sa légitime épouse, en dépit d’une éducation chez les sœurs du couvent des Oiseaux, est capable de leur proposer pour accompagner ce nectar des Dieux des sushis achetés à la Grande Epicerie du Bon Marché qui est tout près de leur 300 m2. Alors, en catimini, il sollicite le petit dernier, Charles-Henri qui passe le plus clair de son temps à manier la souris plutôt que de s'adonner aux charmes des poèmes de Vigny. Alors comme dans le cas précédent, surfant sur le site des accordailles www.findawine.com, sans coup férir il va découvrir que son La Tâche d’un grand millésime se verrait bien coucher avec des Rognons de veau à la moutarde ancienne de Meaux. Reste plus qu’à la bonne à filer en Vélib chez le tripier et le tour est joué.
À ce stade, si vous avez eu la patience de me suivre jusque là, je pense que vous estimez que je sombre doucement dans la sénilité, qu’il va falloir que j’aille faire réviser mes neurones fatigués, même peut-être me résigner à faire un échange standard car je frise le n’importe quoi. Et encore estimez-vous heureux vous avez échappé à la version classe moyenne de mon histoire : si ça vous dit je peux le faire pour Raymond et Yvonne Dubois qui logent dans un HBM du 20e ou pour Dylan et Mélissa Petit qui prennent tous les jours le RER pour faire des AR Drancy-Paris vu qu'y z'habitent un F3 au 15 ième étage d'une tour des z'HLM.
Détrompez-vous, ce que je viens de vous décrire, certes avec une bonne dose d’ironie, existe sur la Toile : ça s’appelle de l’intelligence artificielle. Oui, braves gens qui en êtes encore à suer sang et eau pour dégoter la bonne boutanche qui ira avec le déjeuner du dimanche ou l’inverse si ça vous chante, z’êtes des dinosaures du choix, une espèce en voie de disparition, pour tout dire des « vieux cons ». Au lieu de faire turbiner vos neurones faites maintenant tourner des moteurs de recherche car maintenant ils sont intelligents les canaillous, bien plus que vous pauvres mortels nés au siècle dernier. Puisque nous allons virer sur 2010 après avoir mis le Cap dessus, il faut tout optimiser, faire la chasse au temps perdu, et surtout luxe suprême pouvoir proclamer à vos proches estomaqués : maintenant je ne puis plus me tromper !
Moi tout ça me va. Si y’ a des clients alors chaud devant ! Que des jeunes entrepreneurs se démènent, phosphorent, créés, j’applaudis des 2 mains mais attention à un petit travers : l’utilisation intempestive de la brillance. En l’occurrence ici la référence à l’intelligence artificielle. L’utilisation de cette qualification, même si elle correspond à une certaine réalité, me semble un peu pompeuse. Pour ceux que ça intéresse, en Wine News N°64, une brève approche, par François Denis, de ce qu’est l’intelligence artificielle. Le raccourci est certes saisissant mais l’intelligence du moteur de recherche n’est que la somme d’intelligences bien humaines : les notateurs, les commentateurs dont les références sont compilés dans la base de données. Dans cette affaire, et encore fois s’il y a des clients pour ce type de services : tant mieux pour les concepteurs du site, en définitive il s’agit de confier nos « intérêts gustatifs » au nez d’un Parker ou d’un de ses confrères moins médiatique, aux goûts d’un sommelier qui fait le travail traditionnel d’un sommelier, démultiplié par la puissance des données accumulées mais qui, dans une forme de main invisible, ne nous apportera que la somme de ses connaissances, de ses à priori, de sa culture du vin qui ne peuvent être universels. J’avoue que ce n’est pas ma tasse de thé car j’ai en sainte horreur la facilité. C’est dans l’air du temps mais j’ai du mal pour ma part à confier mes choix à un moteur de recherche aussi intelligent soit-il, car à ce tarif-là nous allons tout droit vers le choix assisté par ordinateur.
En effet, pourquoi ne pas imaginer un moteur de recherche intelligent qui mouline une base de données rassemblant les critiques, les ventes pour les livres, le nombre d’entrées pour le cinéma, le nombre de spectateurs pour un concert, les ventes de CD et DVD, les prix : oscars, césars, trucs de la musique ou du théâtre etc... et ainsi nous pourrions imaginer la séquence suivante : comment la famille Dubois-Decharme choisit son film avant de choisir le restaurant où ils dîneront ensuite pour fêter les 18 ans de leur cadet Aymeric à qui bien sûr ils offriront le dernier best-seller, en trois coups de clic à pot ? L’imprimante crache le tout et en plus Mapp pourra leur tracer l’itinéraire pour se rendre au cinéma, du cinéma au restaurant, donc les voilà bordés jusqu’aux oreilles les Dubois-Ducharme.
Je pousse bien sûr le bouchon fort loin mais quand je vois dans les lieux publics l’état d’une majorité d’individus anxieux, compulsifs qui ne peuvent détacher leur regard de leur Iphone ou B&B – certains mêmes les consultent pendant la séance de cinéma – je trouve cela d’une tristesse infinie. Dans un avenir proche j’imagine l’état de la famille « Unetechnologied’avance » connectée en permanence, esclave de l’instantanéité. Vite ! Très Vite ! Toujours plus vite ! Elle sera totalement « asservie » aux fournisseurs de contenu car, ne l’oublions pas, ces fameux moteurs de recherche, dit intelligents, doivent être alimentés par du jus de tête de bipèdes sachant lire et écrire. Tout ça pour vous dire que mon propos ne consiste pas à dénigrer l’initiative des fondateurs de Findawine – si elle trouve ses clients et son modèle économique, tant mieux pour ces jeunes entrepreneurs – mais de grâce un peu moins d’enflure dans les qualificatifs me plairait.
Et puis, dans le propos introductif d’un des fondateurs, j’ai noté une approximation étrange : évoquant la lutte en défense du vin sur l’Internet, ce jeune homme à déclaré que c’était un combat contre la loi Evin alors que le projet de loi Hôpital... était bien un texte du gouvernement défendu par la Ministre de la Santé Roselyne Bachelot. Claude Evin n’a plus aucun mandat, ne représente que lui-même, Roselyne Bachelot vient de le nommer à la tête de l’ARH de la région Ile de France, alors pour la crédibilité de notre cause de grâce n’agitons pas de vieux épouvantails qui sommeillent dans le placard. La précision c’est de l’intelligence naturelle.
Bref, je ne suis pas sûr, après lecture de cette chronique, que les jeunes entrepreneurs de www.findawine.com ne vont pas regretter de m'avoir invité. Qu'ils se rassurent : mes écrits n’auront aucun impact sur leurs clients potentiels et l’essentiel pour le développement d’une jeune marque à fort potentiel c’est d’en parler. Mission accomplie : 4 liens www.findawine.com . J’aurais pu m’abstenir. Bon vent à vous mais soyez un peu plus chaleureux, plus conviviaux lorsque vous accueillez des invités. Même derrière les écrans de vos ordinateurs, bardés de vos certitudes de jeunes diplômés, n’oubliez pas que toute aventure humaine, de surcroît dans ce monde étrange du vin, l’expertise ne suffit pas, le supplément d’âme reste une valeur sure.
Pour une relation très pointue de la suite de la soirée allez sur l'excellent blog de Laurent Baraou www.baraou.blogspot.com / moi je me suis éclipsé car j'ai du mal à manger du fromage debout avec des commentaires. Pourtant il y avait de beaux vins qui vont avec, dont un champagne de l'ami Francis Boulard, c'est dire mon aversion pour les accords mets-vins en direct live qui me saoulent bien plus que quelques verres de vin. Je serais resté si nos amis de www.findawine.com ( et de cinq !) nous avaient branché sur leur moteur de recherche intelligent la charmante voix d'un R2D2 pour accomplir cet office.