Je maraude souvent dans les bosquets de livres tel un chercheur de champignons. Je me penche sur les jaquettes, les caresse, les soulève, les soupèse, m’imprègne. Quand je dépose un livre dans mon panier je le fais avec soin, avec amour, comme si j’accueillais un nouveau-né. Parfois j’hésite, je me dis t’as déjà une famille nombreuse à la maison où vas-tu bien le loger ? Pourtant je repars toujours avec une moisson ; il m’est impossible de sortir d’une librairie les mains vides. « aux innocents les mains pleines » disait mémé Marie.
Découvrir physiquement est une forme de jouissance intense et trop souvent les esprits chagrins, les bouffeurs de télé ou autres constipés s’en privent pour le plus grand malheur de nos sociétés connectées. Bouger, aller vers, sentir, ressentir, toucher c’est le premier contact avec la réalité. Les images, le virtuel, nous mènent à la désincarnation des sentiments. En Amour, celui que l’on affuble d’un grand A c’est le choc de la rencontre qui déclenche tout : coup de foudre, tomber amoureux le vocabulaire est physique.
Ces dernières années les librairies, pour faire face à l’hydre du Net, ont accueillis de nouveaux enfants dans leurs rayonnages et sur leurs tables présentoir. « MOOK, REVUE, MAGAZINE, BONI (Bel Ouvrage non Identifié), bookazine, magalivre, ovni, cookzine (si, si on nous l’a vraiment fait)… Pas facile pour certains de mettre une étiquette sur 180°C à la sortie de notre premier numéro » écrit Sébastien Cauchon rédacteur en chef de ce nouvelle parution de bouche.
Les Français adorent coller des étiquettes, en boire aussi, classifier, noter, mettre tout dans des petits casiers en fonction de leurs goûts et affinités. Découvrir c’est aller vers l’inconnu et non mettre ses pas dans les pas de ceux qui pensent à votre place.
Ceci écrit, en revenant à mon approche physique des livres ou assimilés tels, lorsque j’ai découvert 180°C sur son présentoir je dois avouer que sa jaquette, belle en soi, ornée d’un chou rouge coupé en deux, ne me parlait guère. L’esthétisme d’une jaquette fait souvent plaisir à ceux qui la conçoivent mais ce bon goût n’interpelle pas forcément au premier coup d’œil le chaland. En plus 180°C ne flèche pas naturellement vers un magazine du bien mangé. J’avoue humblement qu’au premier abord que le 180° m’a fait croire qu’il s’agissait d’un magazine pour grands voyageurs. Sans ma curiosité je serais passé outre.
J’ai acheté 19,90€ (prix de marchand de chaussures)
Vous allez me dire que je suis fort critique, regretterais-je mon achat ?
La réponse est absolument NON pour 2 raisons :
- La première c’est que le contenu est de qualité tant de par l’écriture, le ton, le choix des sujets, la mise en page et l’iconographie… c’est de haute qualité et c’est une rareté qu’il faut savoir saluer ;
- La seconde c’est que ce N°2 (je n’ai pas vu donc pas acheté le N°1) accueille sur ses lignes notre vieux compagnon de route du vin Michel Smith.
Découverte et qualité
Pour illustrer ce constat j’ai choisi « Tarbouriech La vie en rose » page 90
« Pour apprécier l’immensité de l’étang de Thau, il faut gravir le Mont Saint-Clair à Sète. De là, vue imprenable sur le plus grand étang du Languedoc où s’alignent des centaines de tables sous lesquelles les huîtres de Bouzigues grossissent sans jamais connaître les marées. Sauf qu’un homme, Florent Tarbouriech, en a décidé autrement. »
« La Rolls de l’huître
Vendue plus chère qu’une Gillardeau, la Spéciale Tarbouriech® a aujourd’hui conquis les plus belles maisons et séduit les plus grands chefs comme Eric Coisel chez Prunier, Guy Savoy, Pierre Gagnaire, Michel Rostang ou encore Eric Briffard au George V »
« Côté dégustation, c’est incomparable. Finement iodée, incroyablement charnue, la Spéciale Tarbouriech® occupe tout l’espace de la coquille, plus de chair, plus de densité, plus de croquant, plus de fondant et des arômes de noisette et de champignon particulièrement délicats. »
Lire le tout dans 180°C.www.180c.fr
Merci pour la découverte mais un petit reproche vous auriez pu dans un petit encadré demander au régional vineux de l’étape, le dénommé Michel Smith, de nous prodiguer ses bons conseils pour choisir un Picpoul de Pinet qui va avec la Spéciale Tarbouriech®
Sans transition comme disait les speakers à la télé revenons à Michel Smith qui nous pond tout au cul de 180°C une chronique « Raisin et sentiments » consacrée à Peter Fisher du château Revelette en Provence www.revelette.fr sur lequel votre humble Taulier électronique avait chroniqué en novembre 2012 link en faisant la preuve de son ignorance crasse.
Avec le vieux routier des vignes et des chais qu’est Michel Smith vous n’avez pas ce genre de risques.
Le décor magistralement planté
« Silencieux, la chevelure toute ébouriffée par le vent d’hiver, Peter Fischer fixe sa terre rouge parsemée de petits éclats de calcaire blanc tout juste recouverts d’un léger duvet d’herbe tendre qui ferait le bonheur des agneaux de Sisteron. Par moments, les yeux du vigneron observent une petite troupe d’hommes recroquevillés sur des ceps rabougris par l’âge. Ils se déplacent à la vitesse d’une échappée de petits gris champions de cross-country dans la rangée que lui-même vient de quitter et dans laquelle il a passé un bon moment pour vérifier que la taille du grenache noir se faisait dans les règles de l’art, ses règles à lui, celles d’un vigneron rusé mais exigeant, un gars à qui on ne la fait pas, un type qui tient à sa future récolte comme à la prunelle de ses yeux, mais qui sait aussi imprimer à son vignoble le sens de la mesure. La terre s’amourache à chacun de ses pas tandis que Sissi, la cairn terrier aux poils grisonnants, inspecte le moindre bosquet de chênes verts un peu comme si elle voulait au passage déterrer quelques truffes pour en faire cadeau à son maître. D’autres arbres impriment leurs taches de rousseurs dans un ciel sombre et nuageux qui voile la vue sur la face nord de la sainte Victoire que Cézanne ne peint plus depuis belle lurette mais qui réserve son versant ensoleillé aux touristes du monde entier, à quelques enjambées d’Aix, la capitale, et de son cours Mirabeau… »
Un Provençal d’Outre-Rhin
« Tel serait Peter Fischer : tantôt Jeronimo, tantôt provençal, philosophe et poète. Un instant personnage paysan sur son tracteur sorti tout droit d’un roman de Giono, on peut le retrouver le soir même avec ses amis arpentant le Vieux Port à la recherche d’une bonne adresse. Un jour routier cigarette au bec filant au volant de sa grosse bagnole tout terrain vers la Catalogne pour retrouver les vignes de son Trio Infernal qu’il partage dans le Priorat avec deux de ses potes de Rhône Vignoble, une association de vignerons avec laquelle il bourlingue dans le monde entier pour prêcher la bonne parole des vins, il est aussi capable de faire un brin de causette sur la qualité des rabasses (truffes) avec les chasseurs du pays… »
Mais Michel n’est pas qu’une belle plume c’est aussi un grand descendeur de quilles et il nous gratifie d’une dégustation des 3 styles de vins du château Revelette.
Merci Michel, chauffe Michel tu peux dépasser sans problème les 180° avec un bon coup de carignan frisant les 15°…