J’ai rarement vu l’enseigne d’un débit de boissons afficher : bistrot de la Mairie ou des Tilleuls ou du Départ… comme l’écrit Robert Giraud, grand expert en cette matière, « hors dans les livres, il y a des mots qu’on ne lit jamais, bien que tout un chacun les emploie d’une façon régulière. Sous le néon et les ampoules électriques de certaines vitrines et devantures « Bistrot » n’apparaît pas remplacé par bon nombre d’appellations contrôlées qui toutes le désignent. » Le plus souvent pour le populo c’est le café, avec un petit frère plus fermé, parfois louche ou chic : le bar, qui lui désigne le comptoir lui-même appelé le zinc…
C’est pour cela que ce matin je propose à votre lecture des Gravures sur le Zinc de Jacques Prévert…
Où les ai-je trouvées ? En chinant à la Foire Nationale à la brocante et aux jambons de Chatou.
Chineur de livres je suis, un vrai, pas un collectionneur de vieilles reliures, d’éditions rares, coûteuses - un livre en exposition est un gisant, mort, couvert de poussière –mais un dénicheur de petites merveilles, un jouisseur qui cherche sans ne rien chercher, dont l’œil vagabonde, fouille, baguenaudant, tombant en arrêt, dont la main se pose avec vivacité sur la couverture convoitée. Dimanche, à Chatou, sous un peu de soleil, elle était lie de vin la couverture et elle affichait sobrement Le POINT Revue Artistique et Littéraire BISTROTS
Ce qui m’a frappé de suite c’est qu’au bas de la couverture était indiqué l’origine de cette revue Souillac (Lot) Mulhouse 55 rue Daguerre. La province donc, étonnant une revue artistique et littéraire originaire du terroir profond, une exception française, surtout en 1960 date de ce numéro 57 qui sera malheureusement l’antépénultième du Point fondé en 1936 par Pierre Betz avec son ami Pierre Braun, éditeur d’art et imprimeur à Mulhouse, afin de montrer que la province peut aussi être une terre d’art. Belle tentative de décentralisation artistique et littéraire qui voulait « rapprocher les hommes » à travers la culture...
Gravures sur le zinc
Au Diable Vert rue saint Merry, une clochard devant son premier verre en confidence lui dit : - Place toi là pour voir le défilé !
Mais sur le miroir du comptoir un petit écriteau ravive la mémoire de ce client trop empressé :
Surtout n’oubliez pas de payer
même
si vous buvez pour oublier.
Ailleurs dans la ville, sur la grisaille des murs, le socle des statues, les tables des cafés, le plâtre des WC d’autres sentences sont gravées ou titubantes dans les rues à haute voix proférées :
Mon lit c’est le ruisseau
mon trottoir l’oreiller
le flic c’est mon cauchemar
le vin mon rêve doré. Debout les ivre-morts
révérend-père Ricard
le dernier verre du condamné
beaucoup
l’ont bu dans les tranchées.
Tu m’as quitté
Beauté
A m’en rendre
malade
je bois à
ta santé
Buvez ceci est mon eau
signé Saint Galmier
quand
le chameau
entre
le bistrot est désert
L’alcool tue mais pas n’importe qui
Plus le verre est épais
plus le vin est cher et mauvais
Que de grands verres
on pourrait remplir avec les
petits verres que les larmes ont fait verser
le mauvais buveur
vit sous l’Empire de la Boisson
le bon
dans sa révolution
Méfiez-vous du Brandy corse
Buvez du rouge
jamais de fine Napoléon
Bacchus ne disait pas que c’était
son sang
il avait horreur des Appellations
Contrôlées
J.C chassa les marchands de
vin du Temple
Son père n’aimait pas la concurrence.
….. et tant d’autres encore choses lues
Et retenues, entendues racontées.
Jacques Prévert
Michel Smith 23/03/2012 17:20
Feuilly 23/03/2012 17:10
Michel Smith 23/03/2012 10:50
Feuilly 23/03/2012 10:10
Michel Smith 23/03/2012 07:55