C’est sans doute d’une lecture un peu rébarbative, quoique, mais ce que je vous propose de lire est très révélateur des effets pervers de l’hyper-concentration de la GD face à une production atomisée.
C’est une première dans un avis publié lundi, l'Autorité de la concurrence, saisie par des producteurs de fruits et légumes, recommande l'introduction de mesures de flexibilité dans les organisations de producteurs pour contrer la concurrence au sein de l'Union européenne liée à la « disparité » des coûts de main-d'œuvre.
A. SITUATION DANS LE SECTEUR DES FRUITS ET LEGUMES
1. PRINCIPALES DONNEES RELATIVES A LA PRODUCTION DE FRUITS ET LEGUMES EN FRANCE
5. La France est le troisième pays producteur de fruits et légumes au sein de l’Union européenne, derrière l’Espagne et l’Italie.
6. En France, la production de légumes (hors pommes de terre) s’est élevée en 2012 à 5,4 millions de tonnes, en hausse d’environ 1,7 % par rapport à la production moyenne des quatre années précédentes, et celle de fruits à environ 2,7 millions de tonnes, en baisse d’environ 7,5 % par rapport à la production moyenne des quatre années précédentes.
En 2010, les surfaces agricoles dédiées aux fruits et aux légumes en France représentaient respectivement environ 183 000 hectares et 209 000 hectares et la France comptait environ 53 000 exploitations de fruits et légumes alors qu’elle en comptait environ 78 000 en 2000, soit une chute de plus de 30 %, cette baisse étant plus marquée concernant les fruits (-35 %) que les légumes (-29 %).
8. Le solde commercial est négatif, qu’il s’agisse des fruits (déficit d’1,8 million de tonnes) ou de légumes (déficit de 0,83 million de tonnes).
9. Une très grande partie des fruits et légumes sont consommés en l’état. Seuls 11,5 % de la production nationale sont destinés aux industries de transformation.
10. Le secteur de la production de fruits et légumes emploie environ 131 000 unités de travail annuel, soit environ 20 % des emplois dans le secteur agricole, les productions arboricoles et maraîchères étant très exigeantes en main d’œuvre permanente et saisonnière. Cette main d’œuvre, ainsi que l’a souligné Légumes de France, est généralement peu qualifiée et difficilement employable dans d’autres secteurs.
11. Le résultat courant avant impôt par actif non salarié en valeur réelle s’est élevé en 2013, selon les prévisions d’Agreste, à 25 400 euros dans le secteur des légumes et à 32 400 euros dans le secteur des fruits. A titre comparatif, le résultat moyen toutes exploitations agricoles confondues s’est élevé à 29 400 euros, à 25 100 euros dans le secteur laitier et à 50 800 euros dans le secteur des grandes cultures.
Au-delà de ces considérations d’ordre économique, il convient de souligner que les fruits et légumes sont mis en avant par les politiques de santé publique promouvant un meilleur équilibre alimentaire. Compte tenu des apports nutritionnels des fruits et légumes, leur consommation quotidienne est une des recommandations majeures du programme national nutrition santé (« 5 fruits et légumes par jour ») et de la lutte contre le surpoids et l’obésité.
13. Par ailleurs, l’évolution des surfaces agricoles constitue un enjeu important en termes d’aménagement du territoire. En effet, alors que la surface agricole utile (SAU) totale a reculé de 3 % en France entre 2000 et 2010, la surface des cultures de fruits et légumes a reculé de 16 %, la part de ces cultures dans la surface agricole utile totale n’atteignant plus que 1,3 % en 2010.
2. COMPARAISON AVEC D’AUTRES PAYS DE L’UNION EUROPEENNE
14. Les prix à la consommation des fruits et légumes en France se situent à un niveau légèrement supérieur à la moyenne européenne de la zone euro. En moyenne, les fruits et légumes en France sont vendus à un prix moins élevé qu’en Norvège, en Allemagne, en Autriche ou au Royaume-Uni mais à un prix plus élevé qu’en Espagne ou en Italie.
15. La consommation moyenne de fruits et légumes en France, qui s’élève à 342 grammes par jour, est supérieure à celles des pays tels que les Pays-Bas ou le Royaume-Uni mais inférieure à celle de l’Allemagne (où les prix sont pourtant plus élevés) et de l’Italie.
Consommation moyenne de fruits et de légumes par pays (en grammes par jour), jus non compris (13) source : revue EUFIC (janvier 2012) voir page 6 du document link
16. Selon les informations transmises par le saisissant, le coût de la main d’œuvre en France, du fait d’une progression plus rapide depuis 2000, est plus élevé que celui des deux autres principaux pays producteurs de fruits et légumes de l’Union européenne, l’Espagne et l’Italie, mais aussi à ceux des Pays-Bas et de l’Allemagne.
17. Les représentants de l’interprofession des fruits et légumes frais, Interfel, ont confirmé lors de la séance du 16 janvier 2014, que le coût horaire de la main d’œuvre en France était nettement supérieur à celui de l’Allemagne, indiquant à titre d’exemple que le coût de la cueillette de pommes s’élevait à 12,5 euros en France contre 5 euros en Allemagne.
18. Le secteur de la production des fruits et légumes en France souffre ainsi d’un manque de compétitivité vis-à-vis des autres pays, compte tenu des coûts de main d’œuvre importants, mais également vis-à-vis d’autres cultures telles que les céréales et la pomme de terre.
19. Cette situation est accentuée par le déséquilibre du pouvoir de négociation entre les producteurs et les acheteurs de fruits et légumes au détriment des premiers.
B. DESEQUILIBRE DU POUVOIR DE NEGOCIATION ENTRE LES PRODUCTEURS ET LES DISTRIBUTEURS DE FRUITS ET LEGUMES
1. DESEQUILIBRE LIE A LA STRUCTURE DE L’OFFRE ET DE LA DEMANDE
20. La production de fruits et légumes est atomisée. Le règlement (UE) n°1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n°922/72, n°234/79, n°234/79, n°1037/2001 et (CE) n°1234/007 du Conseil (« règlement OCM »), dont le contenu sera détaillé en partie II du présent avis, encourage la structuration de l’offre de fruits et légumes au travers d’organisations de producteurs (OP) et d’associations d’organisations de producteurs (AOP). Les OP ne représentent qu’environ 50 % de la production de fruits et légumes, la filière fruits étant plus structurée que la filière légumes. Selon un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux de 2012, « le taux d’organisation de la France en OP et AOP se situe dans la moyenne des pays de l’Union européenne et de ses concurrents que sont l’Italie et l’Espagne, mais à un niveau très inférieur à celui des Pays-Bas, de la Belgique ou de l’Irlande qui dépassent les 80 % ». Ce taux varie très sensiblement selon le type de fruits et légumes. Il s’élève en effet à environ 2 % pour la production de courgettes13, 10 % pour la production de salades et à 90 % pour la production de choux fleurs ainsi que de tomates.
21. Par ailleurs, les organisations de producteurs sont relativement nombreuses (243). Du fait de l’éclatement du nombre de structures, moins de 30 % des OP ont une valeur de production commercialisée (« VPC ») supérieure à 10 millions d’euros, 58 % d’entre elles ayant une VPC comprise entre 2 et 10 millions d’euros et 13 % une VPC inférieure à 2 millions d’euros. Le poids économique d’un certain nombre d’OP reste ainsi relativement limité.
Du côté de la demande, la très grande partie (environ 73 %) de la production de fruits et légumes destinés à la consommation à domicile est vendue en grandes et moyennes surfaces (GMS), le reste étant vendu sur les marchés (13 %), par les primeurs (9 %), en supérettes (2,5 %) et enfin en vente directe (2,5 %). Or, la demande émanant de la grande distribution est très concentrée. L’Autorité relevait dans son avis 10-A-2920 que les six premiers groupes de grande distribution détenaient 85 % de parts de marché au premier trimestre 2009.
Ainsi, l’offre de fruits et légumes atomisée se retrouve face à une demande fortement concentrée. Cette situation de déséquilibre relativement classique, dans des secteurs où l’offre est éclatée face à la grande distribution, est accentuée par des caractéristiques propres à la production de fruits et légumes.
2. DESEQUILIBRE LIE A LA NATURE DU PRODUIT
24. Les fruits et légumes frais destinés à la consommation à domicile subissent peu de transformation et sont, sauf exceptions (telles que les pommes, les kiwis et les pommes de terre, qui sont des produits semi-périssables), non stockables.
25. Par ailleurs, la production et la consommation sont fortement tributaires de l’aléa climatique.
De plus, les différences météorologiques entre les zones de production et les zones de consommation peuvent engendrer une forte inadéquation entre l’offre et la demande. Ainsi, en cas de conditions climatiques idéales dans la zone de production, une offre abondante de fruits ou légumes peut arriver à maturité au même moment, sans que les producteurs puissent véritablement la maîtriser puisque cette offre est peu stockable, alors même que la demande n’est pas maximale pour ce produit, compte tenu de facteurs saisonniers qui n’incitent pas particulièrement à la consommation du produit concerné.
Ces différents facteurs liés à l’absence de possibilité de stockage et à la dépendance de la production aux aléas climatiques, associés à une durée élevée du cycle production, notamment pour les cultures de fruits (depuis le choix de l’espèce à planter jusqu’à sa commercialisation), crée une rigidité susceptible d’entraîner des phénomènes d’instabilité spécifiques aux marchés agricoles. Cette rigidité entraîne une très forte volatilité des prix et induit des situations de déséquilibre des marchés des fruits et légumes déjà constatés par l’Autorité dans son avis 08-A-07 du 7 mai 2008 consacré à l’organisation économique de cette filière.
27. En conclusion, cette difficulté à maîtriser l’offre et à prévoir la demande accentue le déséquilibre classique rencontré dans les cas d’une offre atomisée face à une demande concentrée. Cette situation de la filière engendre une peur des producteurs de ne pas être en mesure de vendre la totalité de leur production, qualifiée de « psychose de non-vente », et limite la rationalité de leurs comportements économiques.
28. Dans sa demande d’avis, Légumes de France souhaiterait savoir si cette situation est de nature à caractériser une « situation manifestement anormale du marché », faisant ainsi référence au troisième alinéa de l’article L. 410-2 du code de commerce, selon lequel : « Les dispositions des deux premiers alinéas [émettant le principe de liberté des prix, sauf dans les zones de concurrence limitée pour lesquelles un décret en Conseil d’Etat peut prévoir une réglementation des prix] ne font pas obstacle à ce que le Gouvernement arrête, par décret en Conseil d'Etat, contre des hausses ou des baisses excessives de prix, des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé. Le décret est pris après consultation du Conseil national de la consommation. Il précise sa durée de validité qui ne peut excéder six mois. »
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29. On relèvera que la situation manifestement anormale du marché telle qu’évoquée dans cet article ne justifie que des mesures temporaires et relève ainsi d’une situation d’ordre conjoncturel. Or, comme cela été précédemment exposé, le problème qui se pose dans le secteur est davantage d’ordre structurel, même s’il peut exister des crises conjoncturelles pour lesquelles des mécanismes d’intervention sur les prix tels que détaillés au paragraphe 72 à 76 du présent avis sont prévus. Par ailleurs, le problème rencontré dans ce secteur n’est pas directement d’ordre concurrentiel, puisqu’il existe une concurrence tant au niveau de la production que de la demande. Il s’agit d’un déséquilibre du rapport de force entre l’offre et la demande en défaveur de la première. Ce dysfonctionnement ne peut être résolu que par des solutions structurelles impliquant notamment une meilleure organisation de la structure de l’offre productive déjà permise par le cadre légal actuel. La production des fruits et légumes n’est donc pas dans une situation « manifestement anormale » du marché au sens entendu par les dispositions législatives du code de commerce. Il n’en demeure pas moins que la situation économique de la filière justifie des mesures de nature à permettre un rééquilibrage des relations commerciales, et partant, un meilleur partage de la valeur.
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