Les naturistes sont des amateurs de « vin nu » que j’assimile, en termes d’image, aux chevaux sauvages qui n’aiment rien tant que les grands espaces et la liberté ; quant aux œillères, comme chacun sait ou ne le sait pas, elles sont utilisées, par ceux qui veulent tenir fermement les rennes, pour leurs chevaux d’attelage et ceux de course, afin qu’ils ne soient pas distraits par leur environnement. Des chevaux domestiques, donc de braves bêtes au service de la société, bien intégrés, qui ne dérangent pas l’ordre des choses.
Toutes ces images me sont venues bien sûr parce que le cheval, à son corps défendant, a fait un retour en force dans l’actualité, via les braves chevaux de trait roumains transformés en minerai pour plats cuisinés internationalisés (même jusqu’à Hong-Kong). Comme d’ordinaire c’est le sieur Pousson qui, m’ayant sollicité pour prendre parti, dans une énième controverse entre les tenants de l’art officiel, de ses codes, de sa pompe, de sa sotte prétention, et les petits loups et petites louves qui s’ébrouent comme des petites folles et des petits fous en des prairies si naturelles que parfois ça sent la bonne bouse de vache.
Ce qui m’étonne beaucoup c’est que ce beau monde, les vieux chevaux de retour en tête, s’étonne que le privilège de la jeunesse c’est, comme on le disait avec justesse autrefois, de jeter sa gourme*, faire des frasques, de foutre aux orties ou ailleurs les traditions de leurs aînés, de faire chier le monde (* c'est à partir du milieu du XIVe siècle que le mot désigne une maladie de la bouche ou de la gorge du cheval, affection provoquant, entre autres, la sécrétion d'une morve particulière ayant le même nom (gourme pourrait venir du francique worm qui signifiait « pus »). Tous les poulains sont victimes de cette maladie bénigne, point de passage quasiment obligé. Au XVIe siècle, on disait alors de l'animal qu'il jetait sa gourme, le verbe jeter ayant ici le sens d' « émettre des sécrétions ».) Faut que jeunesse se passe disait-on aussi dans l’ancien temps, sauf que, de nos jours, nos jeunes sont jeunes beaucoup plus longtemps car le monde du travail est moins accueillant que le nid des parents, donc très chiants très longtemps.
Et puis, pire encore, l’irruption de l’autoédition sur la Toile via les blogs et les réseaux sociaux a donné la parole à tout le monde, sous-entendu à n’importe qui, et fait ainsi sauter le dernier verrou qui cadenassait le territoire de ceux qui estimaient, à tort ou à raison, être les détenteurs du savoir et de l’expérience. Bien évidemment ça déferle, ça déborde, ça éclabousse, ça dit des choses pas convenables, ça a parfois un ego surdimensionné, ça fait de l’esbroufe, ça a parfois un petit côté sectaire ou communautaire mais, il faut bien avouer que, face à eux, les anciens occupants du terrain de jeu ne présentaient pas toujours les garanties de sérieux et de professionnalisme dont ils se targuaient et, de plus, le périmètre de leurs lecteurs restait fort modeste. Dans le monde du vin convenable l’entre-soi est, et reste, la règle.
Le sieur Pousson, a écrit « Je respecte complètement l'avis de François Mauss link , mais je sens comme une pointe de « fort-chabrolisme » dans ses propos. Le monde du vin est bien plus divers aujourd'hui qu'il y a vingt ans. Ça peut agacer, ça m'a déjà agacé, mais il faut bien comprendre que ce bouillonnement, cette effervescence, ce bordel, n'ayons pas peur des mots, sont un signe de bonne santé. Que le vin d'aujourd'hui échappe (pour partie) aux tenants du « bon goût » est une merveilleuse nouvelle qui lui ouvre des horizons (commerciaux notamment) qui lui éviteront de disparaître avec la génération de ceux qui veulent lui servir d'indispensables intercesseurs. Souvenons-nous de cette funeste courbe de l'Onivins (je crois) qui prévoyait la fin de la consommation de vin en France en 2020; je pense qu'il n'y a que la vie, avec tous ses défauts, toutes ses imperfections*, tout son tumulte pour éviter la mort.
* je n'aurai pas l'impudence de revenir sur l'aspect illusoire des dégustations, des dégustateurs et des jurys parfaits. Personne n'est à l'abri… »
Pour en revenir à mes chevaux, à l’image qu’ils véhiculent par rapport à notre débat, je ne vois pas au nom de quoi je n’aurais pas le loisir, sans parler de droit, d’aimer et même d’envier, la liberté des sauvages tout en respectant la fonction de ceux que l’homme a domestiqués. Simplement, pour en revenir aux gens du vin, j’estime que les docteurs de la loi détenteurs des tables de la loi n’ont pas à nous faire accroire à l’intangibilité de leurs codes et de leurs règles, dont beaucoup sont le fruit du commerce, ni à vouloir dresser des barbelés autour de leur fonds de commerce. Ces gens bien ne sont que le miroir d’un état et non les gardiens d’une vérité révélée et gravée dans le marbre. Que je sache le vin n’est que le fruit de la main de l’homme, de son artisanat et non de son art comme certains zélotes le proclament stupidement. Le vin n’est pas une œuvre d’art mais un produit de consommation destiné à être bu, donc détruit.
À ce propos une incidente « Une heure trente de voiture ensuite pour rejoindre Château Latour, où des chevaux de trait passent entre les vignes, secouant leur collier de cuir avant de gravir la pente douce, pas à pas, en martelant la terre. Le directeur de l’exploitation reconnaît lui-même que, pour les vins exceptionnels, le marché a perdu toute raison et spécule : « Nos clients ne boivent plus nos vins. Ils boivent encore ceux qu’ils ont achetés il y a cinq à six ans à 250 ou 300 euros la bouteille ; mais à 1000 euros la bouteille en primeur, ils ne boivent pas, ils le stockent. » Bruno Le Maire le vendredi 25 novembre 2011.
Pauvres grands amateurs, pauvres critiques qui en sont maintenant réduits, avec ces « Grands Vins », pour les premiers, ceux qui n’ont pas les moyens, à rêver ou à espérer, et pour les seconds à se voir transformer, au mieux, en agence de notation et, au pire, en tailleur de cote pour bookmakers. C’est triste comme un fonds de pension anglo-saxon ou comme un bas-de-laine d’un Harpagon. Ceci écrit, je l’ai déjà écrit, j’ai du respect pour ces cercles de dégustateurs, les critiques avisés, mais j’avoue aussi que j’ai une approche plus ludique du vin : je suis un simple consommateur assis qui aime manger, boire et… ne pas cracher, ratiociner, noter, classer… mais rire.
Pour autant je ne suis pas béat face à toutes les fantaisies, les ruades, les foucades des naturistes ; d’ailleurs ils ne me le demandent même pas car, hormis quelques grands maîtres chiants, quelques ayatollahs insupportables, ils sont plutôt joyeux, fêtards et accueillants. C’est ce qui me plaît chez eux c’est qu’ils dépouillent le vin de ses oripeaux de représentation, de son côté marqueur social : dis-moi ce que tu bois et je te dirai qui tu es, de tout le cinéma que l’on met autour. Tout compte fait pour moi ce qui compte c’est que le monde du vin s’ouvre à tous les vents, à toutes les turbulences, qu’il sorte des lieux obligés où certains l’avaient enfermés. L’extension du domaine du vin passe par ces multiples chemins de traverse et non par le seul moule d’un élitisme hautain d’adorateurs du vin, de vins inaccessibles, j’ose écrire imbuvables.
Ceci écrit entre les grands amateurs compassés de GCC ou autres raretés et la joyeuse petite bande des naturistes échevelés il y a le vaste, le très vaste, l’immense espace du MARCHÉ des Vins, de tous les vins, et ce ne sont pas les petits clapotis que je viens d’évoquer qui vont troubler la vie des grands opérateurs au long cours. Pour plus de précisions prière de se reporter aux derniers chiffres de la FEVS sur le bilan 2012 de nos exportations de vins et spiritueux.
Champagne : 11 M 185 793 de caisses (1)
Bordeaux : 26 M 235 087 de caisses (1)
Cognac : 13 M 941 221 de caisses (2)
(1) Une caisse = 12 bouteilles de 75cl soit 9L
(2) Une caisse = 12 bouteilles 8,4l à 40%
Tout ce beau tas de caisses ça fait beaucoup d’hectolitres de vin… des rafales… Faites vos comptes camarades auteurs de guides : combien de divisions ? Pas lerche !
L'illustration est extraite d'une chronique ICI : link