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14 juin 2012 4 14 /06 /juin /2012 00:09

Venir de Montréal en Bourgogne pour percer à jour, au travers de l’époisses, une règlementation – celle de la FDA US – qui met en danger la diversité gastronomique du monde entier, ça vaut plus que du respect : de l’intérêt. Bien sûr, Taras Gresco, dont le prénom me fait penser à Yul Brynner dans Taras Boulba  film tiré d’une nouvelle de Nicolas Gogol, adore provoquer le paisible bourgeois : « Et si on a pu dire que manger du durian – fruit tropical à piquant que l’on consomme à Bangkok –, c’était un peu comme déguster de la crème anglaise dans des toilettes publiques, alors manger de l’époisses, ce serait presque comme mâchonner des résidus d’urinoir en traversant une fosse à purin. »

 

Alessandro and Co 014

Mais son enquête au pays de l’époisses devrait servir de leçon à nos éminents journalistes spécialistes du terroir dans tous ses états : c’est du sérieux pas du bla-bla-bla…

 

Tout commence chez lui par un choix satanique « si Satan, le diable cornu des puritains avec ses sabots et son odeur de soufre, voulait concocter un plateau de fromages pour ses disciples » que choisirait-il ?

 

081124 pique-nique du diable2

-          Un chèvre sec des Pyrénées roulé dans la cendre, en veillant à laisser de la paille maculée de crotte en dessous.

-          Un morceau de vieux-boulogne, fromage à pâte molle lavé à la bière, qui sent l’étable et élu par un « nez électronique » anglais fromage à l’odeur la plus forte du monde.

-          Un stinking bishop ou « évêque qui pue » du Gloucestershire, non seulement pour le côté blasphématoire de son nom mais aussi pour sa croûte poisseuse et son arôme de vieilles chaussettes.

-          Au centre du plateau trônerait « un époisses défait et bien putride ».

 

 

« Satan est un ange déchu : le palais est soudain conquis par une essence divine de lait frais, une pure distillation de sel, de sucre, de crème, et toutes les riches senteurs de la campagne bourguignonne. »

1610246.jpg

L’auteur rappelle qu’en 1999 des cas de listériose se sont déclarés et la souche a été découverte chez un producteur de fromage de Bourgogne (chez les Fromagers de l’Armançon qui avait été accusé à maintes reprises de contrevenir aux normes sanitaires et venaient juste d’être condamnés par le tribunal de Dijon pour avoir fabriqués de faux époisses vendus à bas prix et teintés avec des colorants). De plus les fromages incriminés étaient des fromages pasteurisés.


Et pourtant la presse française et internationale a pondu des titres ravageurs : Le fromage qui tue, La France victime d’un fromage tueur avec la palme du faux-cul au Wall Street Journal : Pourquoi défendre un fromage qui sent les pieds et le purin ?


En dépit du fait qu’aucun fromage Berthaut ne soit incriminé la fromagerie Berthaut à Epoisses link , avec ses 85 employés, est frappée de plein fouet. «  J’ai été forcé de retirer du marché et de détruire 3 millions de fromages, monsieur, qui avaient été déjà expédiés dans le monde jusqu’au Japon. Et un représentant de l’administration qui m’avait condamné avec des accusations complètement infondées m’a couru après en me suppliant de ne pas fermer. Vous imaginez ? » déclare Jean Berthaut « un bel homme d’une cinquantaine d’années, aux yeux bleu clair, aux cheveux argentés » qui possède « un indéniable talent oratoire » et une pipe.


Je passe sur les rivalités services du ministère de la Santé et les services vétérinaires de ma maison pour en arriver à la décision capitale de Berthaut : il utiliserait dorénavant du lait pasteurisé pour fabriquer ses fromages.


Et pourtant « le fromage pasteurisé est comme une page blanche, or la nature a horreur du vide. Donc s’il y a la moindre faille dans l’hygiène de l’usine, des agents pathogènes comme la listéria sautent sur le fromage, et les problèmes qui en résultent peuvent être beaucoup plus graves que si le fromage avait été fabriqué au lait cru. »


Jean Berthaut fulmine « les américains doivent arrêter de considérer les Français comme des gens sales qui portent des bérets et pataugent dans le fumier ! »  Il ne mange que des fromages non pasteurisés car « un fromage fermier au lait cru ne présente aucun danger ». Nous sommes de Bons Vivants et des amateurs d’émotions fortes en matière de saveur ajoute-t-il avant de déclarer « Vous savez, monsieur, un jour, je produirai de nouveau des époisses au lait cru. »


« Manger est une activité intrinsèquement risquée » mais comme le souligne Grescoe

 

« L’absolue modernité de l’entreprise Berthaut achève de dissiper en moi les dernières images romantiques : nulle part ici on ne verra de paysans en sabots penchés sur des faisselles avec une Gitane maïs au coin des lèvres. »


C’est après avoir entendu Georges Risoud président du syndicat de l’époisses que Grescoe nous livre son opinion sur la conviction de celui-ci du bien-fondé du concept de terroir.


« Appliqué à l’origine au secteur viticole, le mot terroir peut sembler un peu sentimental et sans grande signification au premier abord, une sorte de panthéisme ou d’animisme moderne, mais il exprime l’idée que les saveurs qui nourrissent le palais français, des saveurs d’une immense diversité, sont toutes le produit d’une terre particulière. Si les lentilles vertes du Puy, les poulets de Bresse ou le raisin de Bordeaux étaient élevés ailleurs, transportés sur d’autres terres, on les dénaturerait imperceptiblement en leur volant leur identité – leur âme – qu’ils tirent d’éléments aussi subtils et uniques que la composition d’un sol, l’exacte orientation d’un champ ou d’une ferme par rapport au soleil, et, dans le cas du fromage, la présence de souches bactériennes spécifiques au lieu »


Risoud explique « L’idée qu’on ne peut pas tout délocaliser, que certaines choses ne peuvent être fabriquées que sur leur lieu d’origine, est une idée d’avenir… »


« Ce sont Jean et Simone Berthaut, les parents de Jean qui ont sauvé l’époisses de la disparition. Après la Deuxième Guerre mondiale, Robert, nostalgique du fromage de son enfance, en demanda la recette à une voisine, une certaine, Mme Monin, et se mit à en fabriquer avec le lait de ses propres vaches. »


Gresco déjeune chez Jean et Simone Berthaut d’une omelette aux champignons de pays arrosée d’un excellent savigny et suivie d’un époisses bien fait.


Ensuite, comme il confie à Georges Risoud qu’il a très envie de goûter de l’époisses au lait cru, il part vers Gevrey-Chambertin, « ville célèbre pour un vin que Napoléon dit avoir bu vec l’époisses lors d’une visité en 1804. Les rangées de vignes régulières sont protégées par des pancartes interdisant la cueillette : « Pas de grappillage. » Il s’agissait sans doute d’atténuer les ravages faits par les touristes allemands à chaque arrêt de l’autocar. On les retrouve bien vite chez les cavistes et dans les bistrots de la ville. »


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Epoisses au lait cru de chez Gaugry  acheté chez Androuet MOUFFETARD link 10,05 euros

 

Il arrive à Brochon, à la laiterie de la Côte, chez Olivier Gaugry link   « tête brune de hérisson et joues vermillon ombrées par une barbe bleutée s deux jours. » En effet, « contrairement à jean Berthaut, Olivier Gaugry et son frère Sylvain ont décidé de continuer à travailler au lait cru, et leurs employés versent toujours le caillé à la louche dans des moules circulaires, comme les moines cisterciens l’ont fait pendant des siècles. »


Grescoe qui demande à Olivier Gaugry « est-ce que les normes européennes lui ont causé des difficultés ? » reçoit une réponse qui l’étonne « Non, pas vraiment. En fait, je pense que l’Union Européenne nous a été bénéfique, parce que la mondialisation encourage aussi la régionalisation ? Nous devenons plus fiers de nos traditions. Nous ne nous battons plus pour la France – qui n’est qu’une entité à l’intérieur de l’Europe – mais pour la Bourgogne, et, en tant que Bourguignons, nous sommes fiers de montrer notre savoir-faire partout dans le monde. Nous nous rendons compte que l’Allemand qui vient faire du tourisme chez nous n’est pas simplement un Allemand, d’abord et avant tout c’est un Bavarois ou que sais-je encore. En ce sens, l’AOC est une bonne chose, parce qu’elle nous permet de protéger l’authenticité de l’époisses dans le monde, en empêchant les Japonais ou les Brésiliens d’appeler époisses n’importe quel fromage. »


100% d’accord avec Olivier Gaugry !


Ne restait plus qu’à notre canadien à rejoindre « le dernier fabricant d’époisses fermier qui vit à Origny-sur-Seine, un hameau de quarante âmes, où un coq argenté tourne en haut du clocher de la petite église, et où le boucher, le boulanger et l’épicier passent faire leur tournée dans la semaine. Caroline et Alain Bartkowiez sont propriétaires d’un troupeau laitier mêlant montbéliardes et brunes, et d’une ferme au toit de tuiles rouges, appelée « Les Marronniers link »  en l’honneur des grands arbres qui ombragent les rues du village. Alain en m’offrant le café à la table de la cuisine, me détaille le carcan législatif qui enserre tous ceux qui, en France, veulent fabriquer du fromage fermier au lait cru. »   


Le plus dur pour Alain a été de mettre la ferme aux normes européennes.


« C’est bien dommage, commente-t-il. Un bâtiment en pierre du début du XIXe siècle, que nous avons été obligés d’entièrement plastifier. La rénovation est extrêmement coûteuse, au moins 50 euros par mètre carré de surface au sol. Beaucoup de fromagers ont renoncé parce que ça leur aurait coûté trop cher de transformer leurs fermes. »


Grescoe, avant de repartir le coffre plein de sa moisson d’époisses odoriférants, suit Alain dans son magasin « aussi impeccable que sa fromagerie. Rien à voir avec l‘image que je me faisais d’une ferme. »


-          Étonnant, non ? Personnellement, nous trouvons que les pouvoirs publics nous obligent à en faire un peu trop, surtout pour un produit fermier. »


Je termine cette chronique en écho à ce regret d’Alain  Bartkowiez pour suggérer :


-          À mes confrères vétérinaires du Conseil Général auquel je suis rattaché de se pencher sur la question et de ne pas s’abriter derrière les prescriptions de l’UE ;


-          À mon nouveau Ministre Stéphane Le Foll de se porter aussi sur le vrai terrain de notre agriculture pour rencontrer des gens qui portent haut l’excellence du meilleur de notre terroir en France et dans le vaste monde mondialisé… 

 mo_gres1002.jpg  

Taras Grescoe est journaliste, chroniqueur de voyage. Il a collaboré au National Geographic Traveler, au New York Times et au Times de Londres. Il a écrit un livre sur le Québec, Sacré blues, un autre sur les diverses façons de voyager, Un voyage parmi les touristes et Le pique-nique du diable, tous parus chez VLB éditeur. Quand il n’est pas sur la route, Taras Grescoe vit à Montréal.                                                                                

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commentaires

L
<br /> Jacques : « Les » Epoisses – j’utilise le pluriel, comme beaucoup de gens – est un des seuls fromages que je<br /> n‘aime pas (avec le Maroilles, le Munster « avancé » et le Herve de mon ancienne patrie). Mais c’est sans importance.<br /> <br /> <br /> Tu portes le « Trentin » avec beaucoup d’élégance – trop même – mais je te préfère  en vareuse « à la matelot ». Il te manque la crav’touse rouge pour te donner un petit look à la Mélenchon !<br /> <br /> <br /> Non, je ne veux pas t’énerver : je viens de passer 3 jours à Paris .... et des cavistes de GRANDE qualité veulent mes vins<br /> (commandes déjà prises, livraison avant la rentrée de septembre) et ... j’ai rencontré FLEUR. Bon, je lui ai dit quelques mots, sans me faire reconnaître ... Christine veillait au grain. C’était à la rue des Batignolles, mardi midi.<br />
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