Ce qui frappe et intrigue le plus chez Emmanuel Giraud c’est la gourmandise de son regard, derrière ses petites lunettes les yeux pétillent, salivent, croquent au sens du dessinateur et du chroniqueur, comme si, vous prenant pour un castraure de San Érasmo, avec délicatesse, il allait vous effeuiller. Jamais en reste d’une nouvelle idée, d’un projet loufoque, d’une installation ébouriffante, cet esthète discret toujours en quête du beau et du bon, lève le voile dans un petit opus EXCÈS publié aux Éditions de l’Épure 7 € son goût immodéré pour le gras, le juteux, le fumant, le croustillant, le voluptueux.
L’Emmanuel sait aussi être rosse et sarcastique, dans la préface sa plume est aussi acérée qu’un couteau à désosser. Pas de quartier pour les pharisiens de la bonne chère, ces « rédactrices de mode (qui) gloussent à longueur d’éditoriaux sur la dernière couleur en vogue pour le glaçage des cupcakes ». Sans pitié pour « les coiffeuses de Maubeuge et les mécanos de la Ciotat (qui) rêvent de « changer la vie » en ouvrant un sushi-bar en prime time » Compatissant pour ces innocents libraires qui, chaque jour, « meurent sous le poids de rayonnages effondrés où s’entassent de toujours plus nombreuses, toujours plus encombrantes et toujours plus inutiles encyclopédies des soupes et des salades. »
Avouez que c’est roboratif, que notre Emmanuel il n’y va pas avec le dos de la cuillère. Il hache menu, avec une belle dextérité, la critique gastronomique qui « se vomit proprement en cent quarante signes sur Twitter ». Il taille en pièces fines, j’oserais même écrire qu’il escalope « les blogueuses anorexiques (qui) s’extasient sur la burrata allégé au yuzu. » Il offre au grill, à la puissance du feu, avec délectation, les Inquisiteurs « du nouveau clergé bio, végétalien et bien-pensant » pour qui la dégustation d’une « entrecôte divinement persillée […] est un crime passible des pires outrages. »
Bref, c’est une belle charge avec tous les excès d’une charge, une bonne dose de mauvaise foi parfois, mais Dieu que c’est bon de voir se lever dans l’actuelle bien-pensance, le fade du sanitairement correct, le gris de l’hygiénisme sournois, la débilité des slogans dit de Santé Publique, un héraut du plaisir, de la gourmandise, de la jouissance. Sa citation de Saint-John Perse, qui ouvre le bal, donne le ton « Malheur aux incertains et aux parcimonieux ! On périt par défaut bien plus que par excès »
Mais Emmanuel j’ai tout de même envie de mettre mon grain de sel sur ton éloge de l’EXCÈS. Ta contre-offensive radicale contre les chantres de la sobriété a beaucoup de charme, elle est vaillante même flamboyante, elle ne fait pas de quartier, mais elle se jette un peu trop facilement dans la gueule du loup en prenant le risque de se voir encerclée par les bataillons des « inquisiteurs du diétiquement correct ». Ces gens-là n’attendent que cela pour nous clouer au pilori, nous exposer sur la place de grève avec autour du cou une pancarte énumérant les chiffres affreux de la Sécurité Sociale. Moi je n’ai pas envie de leur offrir ce plaisir à ces minables.
La satiété est mon principe de vie car je n’ai nulle envie d’entendre mon ventre crier famine après avoir croqué des lamelles de radis montées en pyramide avec une escalope de St Jacques au sommet constellée de fines gouttelettes Aceto balsamico tradizionale di Modena. En revanche je n’ai nulle envie de me sentir lourdement repus, de sombrer dans une sieste postprandiale la bouche ouverte, de ronfler comme un sonneur de viole toute la nuit. Mes excès sont sélectifs, irrépressibles, monstrueux : je suis capable d’engloutir une platée de spaghettis qui ferait caler 2 ou 3 bons mangeurs ; je descends sans peine une ration de riz au lait nappé de chocolat qui mettrait en déroute un bataillon de sapeurs ; je dévore jusqu’à la dernière miette le Panforte que je viens tout juste d’acheter… J’engloutis alors mais rien ne m’est plus désagréable que mon plaisir immédiat soit gâché par l’épreuve du lendemain. La nature m’a doté d’un appétit d’ogre mais mon corps consume sans trop d’effort, brûle et si je fais du vélo ce n’est pas pour faire du sport mais pour aérer mes neurones, me faire croquer de la vie. J’avoue n’être qu’un franc mangeur et buveur loin des paillettes, du paraître de beaucoup de gastronomes. La table est un lieu irremplaçable, qu’elle soit de formica dans une cuisine au 9 e sur cour ou nappée dans un établissement étoilée. Converser, échanger, manger aussi, passer du temps, prendre le temps est le meilleur rempart à cette fameuse obésité qui guette les enfouisseurs de pizzas vautrés sur leur canapé face à la télé.
Point trop de sel n’en faut, exhausser le goût simplement, le chroniqueur laudateur ne remplit pas sa fonction qui est de donner envie à ses lecteurs de se précipiter chez leur libraire pour acquérir, ici en l’occurrence le petit opus d’Emmanuel Giraud EXCÈS. Alors allez-y sans crainte car notre pourfendeur défenseur de la liberté culinaire vous offre 10 recettes dont de goutteuses « Huîtres en gelée Tête de Veau » accompagnée d’un Melchisédech (30L) de champagne de la maison Drappier que vous sabrerez. link