Le titre du Parisien de samedi dernier m’a accroché « Du plaisir jusqu’au bout » et la suite aussi : « Du vin et son plat préféré à la place de la perf. C’est l’ordonnance des médecins pour adoucir la fin de vie et le thème d’un colloque qui se tient aujourd’hui. Une révolution. »
Comme le note l’auteur de l’article « Ce sont des mots qui ne sont presque jamais accolés : « fin de vie » et « plaisir ». Si on y ajoute « vin et nourriture», le télescopage est tout simplement inédit. C’est en tout cas le thème d’un colloque international qui s’est tenu samedi dernier à Beaune, en Bourgogne. Des neurologues, sociologues, gériatres, infirmiers, directeurs de maison de retraite, psychologues, chefs cuisiniers et même le philosophe Emmanuel Hirsch, directeur de l’espace éthique de l’Assistance publique, se sont réunis autour de cette question majeure et si peu souvent posée : les douceurs, les liqueurs, fumets et civets ne sont-ils pas au moins aussi essentiels que les médicaments quand on est gravement malade ou extrêmement âgé? »
L’âme de cette réflexion est Catherine Le Grand-Sébille, socioanthropologue qui travaille depuis longtemps sur la mort et la fin de vie. Elle est allée pendant dix-huit mois au-devant des patients, malades, résidants, de leurs familles et des soignants. Elle a mené 200 entretiens, dans une trentaine de services du Nord-Pas-de-Calais à la Corse et a acquis la certitude d’assister à une révolution discrète mais bien réelle, même si elle dépend encore beaucoup des régions et, surtout, des services où l’on est soigné : « Le respect des goûts et des petits plaisirs propres à chacun prend de plus en plus le pas sur le pilulier. »
Le Parisien rapporte qu’elle a « vu des familles se faire sermonner pour avoir apporté des plaquettes de chocolat en douce à un vieux diabétique ou une mourante se voir refuser un petit flan gélifié de peur qu’elle fasse une fausse route… Mais aussi des familles apporter bouteilles, couscous ou bœuf en daube dans les chambres aseptisées, les partager avec les patients des chambres voisines et des grands malades reprendre des couleurs au sein de cette scène sacrilège en milieu médicalisé. Dans les régions du Sud, la Provence ou l’Aquitaine, qui se vivent comme plus épicuriennes, ça va davantage de soi » ajoute-t-elle.
Catherine Le Grand-Sébille explique que « C’est vraiment une question de philosophie de soin. Les unités de soins palliatifs — qui accueillent les grands malades en fin de vie, souvent après l’arrêt des traitements — sont très en avance. Les médecins y font un travail d’une grande délicatesse, notamment pour soulager les douleurs ou les lésions de la bouche qui sont fréquentes et empêchent de savourer ce qu’on aime. »
Elle souligne que « dans ces unités-là, au joyeux mépris des interdits et des normes, on voit des patients qui n’avalaient plus rien se ruer avec une belle vitalité sur des huîtres, des fromages au lait cru, des alcools forts, leur vin préféré, haut-médoc pour l’un, du brouilly pour l’autre.
Pour conclure je reviens vers le chroniqueur de la belle province Claude Langlois du Journal de Montréal cité en exergue de ma chronique de ce matin qui constatait qu’ « Arrive un moment dans la vie où, si tu veux boire les bouteilles que tu as achetées, il ne faut plus miser sur des vins de garde. »
Mais « Cela dit, j’avoue que la lecture récente d’une entrevue avec la socio-anthropologue Catherine Le Grand-Sébille, dans le magazine Vin & Société, m’amène à assouplir ma position.
Et je suis d’accord, finalement, pour remiser en cave quelques grandes bouteilles qui seront à leur mieux quand moi je serai peut-être au pire. »
Vin&Société a donc rencontré Catherine Le Grand-Sébille : lire son interview ICI link
Lire aussi l’excellente chronique de François Desperriers ICI link
Le rôle de la région Bourgogne dans cette étude.
« Plusieurs familles ont accepté de participer à l’étude en évoquant la fin de vie de parents à l’hôpital ou en maison de retraite dont la vie entière était axée sur la fabrication ou le négoce du vin. L’évocation de leurs activités professionnelles avec les soignants semblait toute naturelle et fréquente. A Beaune, au cours de cette enquête, j’ai aussi rencontré une équipe mobile de soins palliatifs très motivée. Le Docteur Fabrice Prudhon qui en est le responsable médical, m’a très vite proposé d’organiser le colloque national en terre beaunoise, persuadé – et il avait tout à fait raison – que ce magnifique terroir saurait se montrer sensible à ces questions qui sont certes graves, mais si essentielles dans ce qui unit les hommes entre eux et ce qui les relie au monde. »