Être rond comme une queue de pelle, beurré comme un p'tit-Lu sont des expressions populaires qui sont compréhensibles par le premier con venu car elles se fondent sur une analogie incontestable : le manche de pelle est rond et le Petit Lu est pur beurre. En revanche l’expression être bourré comme un coing, et non comme un coin prononcé à la toulousaine tel « putaing cong ! », est plus obscure. Et pourtant elle est quasi-universelle : pour preuve ce titre en août 2008 « Georges Bush bourré comme un coing à Pékin »
Pour les petites louves et les petits loups urbains, surtout les locavores, je précise que le coing est le fruit du cognassier qui ne peut se consommer cru. Tante Aline, muette comme une carpe depuis quelques mois ce qui ne lui ressemble pas, nous avait gratifiés d’une belle recette de canard aux coingslink
Tout cela est bel et beau mais pourquoi le coing serait-il bourré ?
Question essentielle pour nous mais à laquelle nos éminents grammairiens et linguistes, qui n’aiment guère l’argot, n’ont pas donné de réponses satisfaisantes. Nous faire accroire, puisque bourré en argot c’est être rond, que ce serait à la rondeur du coing que cette expression se référerait, c’est chanter les mérites des roues carrées ou ovoïdes. N’en déplaise à l’éminent Alain Rey, pour qui cette « rondeur » aurait été une des raisons du choix (les autres ont les ignorent) de ce fruit, très franchement il faut être né dans le XVIe arrondissement pour nous conter de telles sornettes car affirmer que le coing est rond c’est méconnaître son incapacité à rouler ce qui n’est pas le cas bien sûr du mec bourré (le féminin prêterait à des interprétations tendancieuses.)
Plus tordu encore, en 1935, selon Gaston Auguste Esnault, né à Brest, donc dans un écosystème très porté sur la biture, professeur de l’enseignement secondaire, agrégé de l'Université, lexicographe et spécialiste de linguistique et de littérature qui a publié des études savantes sur l’argot en France, le coing aurait aussi été choisi par jeu de mots entre le fruit et le coin. Il y aurait eu homonymie entre le fruit et la cale que l'on met en général pour coincer quelque chose : et comme il n'y a plus d'espace en général entre la dite chose et ce coin, ce dernier est « bourré ».
Plus littéraire et tendance : « Pété comme un coing (Loulou traduit « quinced »), c’est une expression qui nous vient d’un soir à Marrakech, il y a quatre ou cinq ans, les Saint Laurent avaient invité Michel Polnareff : ivre de kif, il disait qu’il était « pété comme un coin » (parce que le coin de mur, le coin de table sont souvent ébréchés ?). Nous aimons dire aussi, comme Bill Willis (accent américain) : « Je suis hors de ma tête. »
Février 1972 Thadée Klossowski de Rola « Vie Rêvée » chez Grasset (c’est le fils cadet du peintre Balthus qui a vécu une vie oisive dans le sillage de Saint Laurent. Il publie aujourd’hui son journal des années 1965 à 1977)
Pas très convaincant tout ça, alors si vous trouvez mieux comme explication je suis preneur.
Merci de votre éventuelle contribution pour faire la lumière sur l’une de nos expressions familières…
En effet si vous buvez à tire-la-Rigault ou mieux à tire-larigot vous risquez d’être bourré comme un coing, de rouler dans le caniveau et de finir au violon (notre cher Charles Rauzan link dans ses « Petites ignorances de la conversation » nous dit tout sur l’expression « mettre au violon » mais ceci est une autre histoire que je n’ai pas le temps de vous conter.)
Bon pour ne rien vous cacher dimanche matin j’ai acheté un coing au marché pour le caraméliser et dans l’après-midi je suis allé boire un petit Irish Coffee en feuilletant « Vie Rêvée » de Thadée Klossowski de Rola. Comme quoi les idées de chroniques viennent souvent de là où on ne les attend pas.