Après un déjeuner fort agréable au Verger des Papes, en ce début d’après-midi d’octobre l’air était tendre et la lumière fine sur le Comtat Venaissin – pour les cancres en géographie la plaine du Comtat est située entre Rhône et Durance et est cernée par le Ventoux, les Dentelles de Montmirail et les Monts du Vaucluse – et nous roulions en direction du château du Trignon. La cueillette des pommes du dimanche précédent ayant eu raison de mon dos, Jérôme me convoyait avec soin et sollicitude. Nous conversions. Avec Jérôme j’ai toujours le sentiment, lorsque nous nous rencontrons, de reprendre le fil d’une conversation que nous aurions interrompu la veille. La connexion est immédiate, naturelle, complice même, car nous nous adossons à notre histoire commune. Certes, nous avons, l’un comme l’autre, pris du recul vis-à-vis de la chose publique mais, dans nos conversations, nous continuons de confronter nos analyses. Jean Pinchon aimait à dire à propos des vins : « qu’il fallait savoir boxer dans sa catégorie... ». Pour notre part, Jérôme Quiot et moi nous boxions dans la même et, sans vouloir nous distribuer des médailles en chocolat, par le style nous nous rattachions plutôt aux puncheurs qui savent donner mais aussi encaisser.
Nous discutions du livre de Michel Quint « Les Joyeuses » à propos duquel j’avais commis une chronique : « Contre le bégaiement, un bon remède : le Gigondas ! » http://www.berthomeau.com/article-34974717.html . L’action se passe à Sablet que nous apercevions au loin. Jérôme me confiait qu’il l’avait lu pendant les vendanges. Qu’il avait bien aimé mais qu’il allait le relire dans des conditions plus paisibles. Comme l’idée d’une chronique sur le château de Trignon m’est venue au détour d’une phrase de ce livre « Alors j’ai sollicité les copains, ah tu es le petit Rico, et ton père David, comment il va, au domaine de Verquière, celui de Piaugier, de Mourchon chez Christian Bonfils, le château de Trignon à Gigondas... » je goûte tout le suc de ces fils noués par la grâce de mon petit espace de liberté. Alors que le magnifique village de Séguret, perché et fiché à flanc de colline, s'offre à nos yeux, Jérôme évoque la journée du livre de Sablet en juillet où il aime se rendre. Je note la date sur mes tablettes.
Nous y sommes. Le lieu est bucolique, le chien couché de tout son long, une maison de charme, rien d’apprêté, c’est le charme discret de la bourgeoisie terrienne. Nous nous installons sous les charmilles face à un splendide et reposant paysage, quasiment indemne de toute construction visible, je tombe sous le charme. Jérôme s’inquiète de mon dos. Je le rassure : ce que mes yeux découvrent se révèle un puissant analgésique. Alors Jérôme me parle de l’acquisition en 2006, auprès de la famille Roux, du Château de Trignon qui rassemblait plusieurs appellations : Gigondas, Sablet, Côtes-du-rhône et Muscat Beaumes de Venise. Ce fut tout d’abord, me confie-t-il, une simple recherche de diversification de la gamme des appellations de la famille Quiot qui, par la grâce et le charme des dentelles de Montmirail que l’on peut contempler tout à loisir depuis le lieu où nous sommes assis, se transformera en un véritable coup de foudre. Les petits matins d’été de Trignon sont emplis d’un charme dont seul Jérôme pourra vous confier toute la quintessence. Cette demeure recèle des ondes positives, c’est un lieu d’écriture. Pourquoi pas me dis-je !
J’entends déjà certains ricaner « ouais, ouais, c’est bien joli tout ça, ce bla bla bla de carte postale mon cher Berthomeau, mais ton boulot c’est de nous faire saliver sur les nectars du Château de Trignon... » Certes, chers lecteurs, mais de grâce ne méprisez pas le plaisir de la conversation. Le Bien Vivre, si cher aux meilleurs d’entre nous, ne se résume pas à des notes de dégustation. Comme diraient les fils de pub à mon propos « ça n’est pas écrit Bettane&Desseauve sur le fronton de ma petite maison d’écriture » Mais rassurez-vous, face aux splendeurs des dentelles de Montmirail, Jérôme et moi nous dégustions des vins de la propriété : un Sablet Rouge 2005 et une Marsanne 2008. Pas une dégustation de long nez et de bec fin une consommation d'honnêtes hommes conversant sous les charmilles qui réjouit le cœur, raffermit les liens et aère les neurones. Comme la famille Quiot est une maison de confiance alors vous pouvez aller acquérir au charmant petit caveau du château de Trignon de beaux flacons. Depuis son acquisition la famille Quiot a rajouté 10 hectares de Vacqueyras à la pelotte du château de Trignon. Nous visitons les installations d’une méticulosité suisse. Je salue Jean-Baptiste Quiot en plein travail. Souvenir de la soirée truffes où je m’étais aspergé de Châteauneuf rouge et où l’une de ses chemises me sauva la mise. Voilà une bien belle maison : un vignoble d’exception, celui de Gigondas qui s’émancipe de l’ombre portée de Châteauneuf, un patchwork d’appellations communales, des Côtes du Rhône qui permettent de décliner des cépages blancs : Roussane, Marsanne et Viognier, des équipements impeccables, un corps de bâtiments plein de charme.
À tous ceux qui ne pensent le destin du vigneron français qu’au travers d’un artisanat de timbre poste, que j’aime et je défens aussi car il recèle bien des valeurs d’authenticité, loin de moi de leur opposer la saga de Geneviève et de Jérôme Quiot qui n’a pas été, loin s’en faut, qu’un long fleuve tranquille. Du travail, de la ténacité, des soucis aussi, un engagement national pendant tout un temps avec son lot de grandeur et de petitesses qui vous tannent le cuir, du temps passé par Jérôme à sillonner le monde, un projet qui dérangeait le ronron de beaucoup de ses collègues. Dans notre beau et vieux pays où la réussite ne bénéficie pas d’une réelle cote d’amour, le jour où nous voudrons bien, par delà nos différences, nos oppositions réelles ou supposées, privilégier ce qui nous uni en laissant de côté pour un temps ce qui nous sépare, nous effectueront le premier pas qui nous sortira de notre immobilisme mortifère. Quand nous avons créé « Sans Interdit » avec Jérôme Quiot et d'autres tel était notre objectif premier. Il reste toujours d’actualité. Reste plus qu’à profiter du temps des froidures pour nous retrouver afin de remettre l’ouvrage sur le métier. Un grand bonjour à notre Jean-Louis du Luberon qui est lui aussi de cette aventure...