Mea culpa, mea maxima culpa, je fais contrition, promets de ne plus recommencer, suis même prêt à faire pénitence pour avoir osé qualifier la carte de Damien Larsonneur d’originale. N’étant pas breveté goûteur patenté j’aurais dû m’en douter, réfréner mon désir de donner un coup de pouce à une jeune pousse du vin. Condamné sans appel le jeune Damien, on ne badine pas avec l’originalité que diable. Même si je ne sais pas vraiment sur quel référentiel se gradue l’originalité d’une carte, ce dont je suis certain c’est que le seul ressenti qui vaille est celui du client, de celui qui paye l’addition.
Que les vins soient trop chers dans les restaurants je suis le premier à en convenir et à le regretter mais de grâce comparons des établissements comparables et, pour ma part, lorsque je vais au restaurant, c’est pour manger des plats que je ne sais pas faire ou ne veut pas faire chez moi. Trancher du jambon et couper des parts de fromage est à la portée du premier venu, griller un faux-filet demande un peu plus de technicité mais c’est à ma portée, chez les Larsonneur nous avons excellemment mangé, la cuisine d’un jeune chef talentueux, pour 63€ par personne : entrée +plat + dessert + vin au verre à l’apéritif + 1 bouteille de vin. C’était un repas de fête. Ce ne fut ni un menu dégustation où il faut suivre l’humeur du chef, ni un concours d’abattages de quilles pour gosiers de compétition.
Pour bien me montrer que je n’étais pas digne de confiance, un chevalier sans peur et sans reproche me conseilla, afin de m’éduquer, d’aller chez Benoît Rex aux Jeu de Quilles 45 rue Boulard. Bonne pioche c’est à deux pas de chez moi tout près du boucher star le souriant Hugo Desnoyer où je vais parfois acheter ses succulentes côtes de veau (les prix sont à la hauteur de la renommée). J’avoue avoir souvent déposé mon vélo face au Jeux de Quilles, d’avoir jeté un œil sur la petite carte affichée sans éprouver l’envie d’y entrer m’y restaurer car, comme je l’ai écrit tout à l’heure, ce qui m’était proposé ne brillait pas par son originalité. Je suis prêt à reconnaître que j’avais tort et, comme je suis bon garçon (oui, oui), ayant un dîner de programmé le mercredi soir avec une fine dégustatrice j’ai sitôt réservé une table au Jeu de Quilles. Y z’ont pris que mon prénom. Les conseilleurs n’étant pas les payeurs, rien ne vaut l’expérience pour se faire une opinion.
Mon conseilleur a écrit à propos du Jeu de Quilles « Il est des habitudes qui se prennent très facilement... Rejoindre les copains rue Boulard (Paris 14è) et pendant que certains font les courses chez Hugo Desnoyer, le fameux boucher, les autres investissent la « table d'hôtes » devant le comptoir derrière lequel officie Benoit Rex, le talentueux chef-propriétaire du Jeu de Quilles. On y passe le temps en se désaltérant d'un Anjou blanc de l'ami René Mosse, on rigole, on se chambre, on écoute radio-casseroles... Quatorze heures, les clients commencent à repartir... Enfin, on passe aux choses sérieuses et Benoit envoie ! Et ça déménage! Sa cuisine est percutante, impertinente, pleine de vigueur et d'enthousiasme. Du produit, de l'imagination, des épices, des viandes crues ou cuites de chez l'ami et voisin Desnoyer, qui vient boire un coup en passant par la cour, de beaux légumes gouteux, des produits de la mer d'une irréprochable fraîcheur... Et tout ça est très digeste, presque « light » ! Les flacons défilent, Descombes, Derain, Souhaut.... Et quand ça se termine, deux heures plus tard, on aurait envie que ça recommence. On sort dans la rue, souriant, léger... »
Moi j’y suis donc allé comme le client lambda, le chef-propriétaire ne me connaît pas, et sans prévenir ma dégustatrice patentée que j’allais chroniquer sur la tortore et le gorgeon. Une approche normale, sans affect, distanciée quoi, très François Simon couleur muraille (il y est venu à l’ouverture en 2008 (normal il est pote avec H.Desnoyer sur lequel il a commis un bouquin) « Oh ! Celle-là... elle va faire beaucoup parler d'elle ! Cela s'appelle Jeu de Quilles. Pourquoi cela va marcher? Parce que les types sont sympathiques, les nourritures du même métal avec abondance, qualité (viandes d'Hugo Desnoyer...le voisin!) et les vins bigrement déterminés. Il y a peu de places (une quinzaine de couverts) mais déjà, ça déménage... » Des vins bigrement déterminés ; Bigre ! Un moment je m’étais dit : « vas-y en solitaire comme un enquêteur du guide rouge » le genre je voudrais des radis au beurre avec un verre d’eau, mais je déteste manger face à moi-même.
Arrivés rue Boulard je fis contempler la devanture d’Hugo Desnoyer à ma compagne de dîner : elle fut émerveillée. Puis, nous entrions dans le jeu de quilles, discrètement, le garçon nous accueillait, avenant. La petite salle, bien remplie, chaleureuse dans sa simplicité. Le niveau de bruit restait acceptable pour que nous puissions converser. Belle coutellerie. Pas le feu au lac, le temps nous était laissé pour décider du choix, fort simple, car la carte est courte : 3 entrées, 3 plats, 4 desserts dont une assiette de fromages et 6 suggestions. Pour le vin je laissai l’initiative à ma dégustatrice bien dotée. Puisque nous venions de choisir en plat un pigeonneau de Racan, l’accord entre nous se fit pour aller vers les propositions de vin rouge. Les prix sont assez modérés et ne pèseront pas beaucoup sur notre choix. Difficile tout de même : nous surfons, hésitons et enfin proposons au garçon ce qui nous paraît une curiosité : un pinot noir du Jura. Exécution immédiate de la quille par le garçon en des termes sans appel et, avec son aide, nous allons vers un Pinot Noir 2010 d’Alsace de Julien Meyer. Bon garçon le garçon annonce à ma dégustatrice que c’est du Nature. Celle-ci, sans se démonter lui répond que si c’est du bon c’est l’essentiel.
Le carpaccio de maquereau que j’ai pris en entrée m’a ravi, gouteux et fort bien préparé, idem pour le consommé de ma compagne, nous avons fait des échanges. Du côté du vin c’est du bon, du fruit et pour preuve de notre plaisir partagé nous fîmes un sort à la bouteille. Pour le plat, cuisson impeccable, bon produit, que j’aurais aimé manger, comme l’on dit, avec les doigts pour « épibosser » le pigeonneau de Racan et en savourer ce que la fourchette-couteau ne permettait pas d’extraire de la carcasse. Mais ça ne se fait pas au restaurant dit-on. Belle cuisine de marché, simple, avec des produits haut de gamme, de grande fraîcheur. Comme c’était le soir nous n’avons pas pris de dessert. L’addition sans surprise puisque l’ardoise annonçait les prix des entrées et des plats, avec le vin 59,50€ par personne ce qui, comparé au dîner chez les Larsonneur, est équivalent puisque là-bas nous avions pris des desserts.
La morale de cette histoire c’est qu’il n’y en pas, chaque table a ses mérites, Je thé me est plus bistronomique, avec une cuisine inventive demandant un savoir-faire de haute-cuisine alors qu’au Jeu de Quilles c’est de la cuisine de copains de haute qualité, comme à la maison si on sait faire son marché et cuisiner, mais où les plats valent surtout par l’excellence des produits ce qui ne dévalue pas pour autant le talent de Benoît Rex. Du côté vin, des prix certes plus doux pour le Jeu de Quilles mais comme les plats sont eux assez bien dotés en prix, au total pour le pékin ordinaire qui vient au restaurant, non pour tomber des quilles, l’addition est équivalente. Désolé de le souligner c’est ce qui compte pour 90% des gens qui fréquentent un restaurant. Les es-spécialistes des vins « nature » ou non d’ailleurs, ne sont pas forcément les meilleurs baromètres pour flécher les bonnes tables.
Reste la question du prix des vins au restaurant, trop élevés à mon goût, au Jeu de Quilles pour qui ne connaît pas la maison le choix ne peut se faire en fonction de la carte des vins puisqu’aucune indication n’est donnée nulle part du niveau des prix pratiqués. J’en ai fait la remarque au garçon fort amène. Sa réponse m’a un peu estomaqué « c’est voulu, nous préférons le bouche à oreilles… » Certes mais moi qui suit du quartier, qui suis passé de nombreuses fois devant le Jeu de Quilles mon oreille n’avait pas capté la bonne rumeur et, sauf à lire François Simon et ses vins bigrement déterminés (notion sans grand sens et sans indication de la douceur relative de leur prix), rien ne m’incitait à pousser sa porte. Merci à l'agence FB (rien à voir avec Face de Bouc) d’avoir porté votre bouche à mon oreille, c’est une bonne adresse j’en conviens mais je ne trouve pas que les émotions partagées par seulement des petits cercles de copains participent à l’extension du domaine du vin. Bien sûr, à l’avenir je me garderai de m’aventurer sur le terrain mouvant des cartes des vins ayant le triple A sous peine de me voir à nouveau décerner le bonnet d’Âne…