L’humour britannique recèle des trésors d’anecdotes vaches se référant à la « gastronomie anglaise ». Ainsi Disraeli, Premier Ministre de la Reine Victoria, qui détestait les dîners en ville, accepte l’invitation d’une dame de la haute société. « Le dîner se révèle un désastre total. Tous les plats qui auraient dû être servis chauds arrivent froids. Mais comme tout le monde est extrêmement bien élevé, personne ne dit rien. Arrive le dessert. On sert le champagne. Disraeli prend sa coupe de champagne, y trempe ses lèvres puis levant son verre en direction de la maîtresse de maison :
- Ah ! Madame, enfin quelque chose de chaud !
Alors sacrifions un instant à l’actualité des XXXe Jeux Olympiques de l'ère moderne pour nous intéresser à l’assiette des athlètes et des visiteurs : quelques 14 millions de repas seront servis, soit 25.000 morceaux de pain, 232 tonnes de patates, 75.000 litres de lait, 19 tonnes d'œufs ont été commandés pour le seul village olympique. Outre les 15.300 athlètes et les équipes qui les accompagnent ainsi que les organisateurs et techniciens, il faudra également prévoir de quoi nourrir les visiteurs ainsi que les Londoniens eux-mêmes qui se seront déplacés pour assister à des épreuves disséminées dans 40 lieux différents de la capitale britannique. Jusqu'à 2 millions de personnes sont attendues pour l'occasion, sans compter les jeux paralympiques qui suivront. D'après les organisateurs, un repas de base pour une famille de quatre personnes coûterait en moyenne 40 livres (environ 51 euros) dans le Stade Olympique.
Bien évidemment, à bouffe de masse : gargotier de masse : McDonald's ouvre à Londres son « plus grand restaurant au monde » (sic) lieu éphémère, situé à proximité du stade olympique qui pourra servir jusqu'à 1.200 clients en une heure. Même la très conservatrice municipalité de Londres a voté une motion pour demander que soit bannie la « junk food » des lieux où se dérouleront les compétitions. Et ce faux-cul de Jacques Rogge, le président du Comité international olympique a reconnu que la présence de ces grands distributeurs (Coca-Cola, Cadbury…) posait des questions, notamment pour le symbole qu'ils représentent alors que de nombreux pays développés luttent contre l'obésité. Mais il a toutefois défendu leur participation en rappelant que les fonds qu'ils apportent sont vitaux pour l'organisation de cet événement.
« Malgré la forte présence de sponsors américains, le secteur de la restauration britannique devrait tout de même y gagner. Leurs bénéfices pourraient atteindre 46 millions de livres (environ 59 millions d'euros) pendant la seule période des jeux, selon une étude menée par le fournisseur de cartes de crédit Visa. Les retombées entre 2013 et 2015 sont évaluées à 171 millions de livres (218 millions d'euros). Les restaurateurs britanniques profiteront notamment d'un plan de promotion des produits locaux ainsi que de la charte éthique et environnementale auxquels des associations de producteurs bio ont apporté leur voix. Au menu, donc, la crème de la cuisine britannique: porridge, rôti de porc, bœuf écossais, tartes au fromage de Stilton, et toutes sortes de cakes pour le « high tea »...
Afin de ne pas me voir accusé d’être un anti-rosbif primaire je rends aux habitants de la perfide Albion ce qui lui appartient en propre : les mots anglais qui sont dans nos assiettes.
« Les Français, si fiers de leur cuisine, n’hésitent pas à utiliser des mots d’origine étrangère pour désigner certains plats et aliments. Des mots italiens, arabes, espagnols, allemands, chinois ou japonais… et des mots anglais, bien que, avec le temps, un fossé d’incompréhension culinaire semble s’être creusé entre les deux pays, bien plus large et profond que le bras de mer qui les sépare. Pourtant, ces mots sont là, utilisés quotidiennement ou presque, dont les fameux « rosbif » et « bifteck ». Ils ne sont pas les seuls, mais il est remarquable qu’un assez grand nombre d’entre eux soit lié à la consommation de viande de bœuf, et depuis bien longtemps, puisque la première apparition d’un mot de cette famille date de plus de trois siècles : en 1691 paraît un « ros de bif » qui, de façon curieuse d’ailleurs, désigne le plus souvent un baron d’agneau.
Vingt ans plus tard, c’est un « beef steak » qui surgit sous une forme encore anglaise mais qui connaît rapidement un début de francisation pour aboutir à l’orthographe assez fantaisiste de « beeft stek ». Ensuite, en moins d’un siècle, la cuisine et le langue françaises se l’approprient totalement, le mot trouve sa forme moderne et sa place dans les livres de cuisine et les cartes de restaurant.
L’utilisation d’un mot étranger est le signe de l’introduction d’une innovation qui n’a pas de nom dans la langue d’adoption. Dans le cas de la cuisine, cela signifie que des manières de faire ou des produits inconnus jusqu’alors ont été introduits. Quant à l’adoption et à la francisation de ces mots anglais désignant la viande de bœuf, il est à noter que l’un et l’autre ont lieu au cours du XVIIIe siècle, moment charnière de l’histoire gastronomique de la France. Le début de ce siècle voit apparaître la forme moderne de la cuisine française, celle qui assurera sa renommée bien au-delà des frontières, et sa fin consacre l’invention du restaurant et annonce le triomphe de la gastronomie. »
Reste qu’étant un homme de l’agriculture et des bestiaux je ne puis passer sous silence le même transfert dans nos élevages :
« Outre-Manche, cette période est riche de transformations, en particulier dans le domaine de l’agriculture – et tout spécialement concernant les méthodes d’élevage, qui connaissent une véritable révolution. Au cours de la première moitié du XIXe siècle, les éleveurs français s’intéressent à ces nouveaux principes, à ces races de bœufs ou de moutons sélectionnés pour leurs qualités bouchères ou laitières, et d’autres mots anglais – pedigree, openfield, herd-book, stud-book ou redingote – apparaissent dans notre vocabulaire. Sur la trace de tous ces mots, de leur emploi dans les cuisines à leur apparition dans les fermes, à travers trois siècles d’histoire, ce petit livre se propose de partir à la découverte des plus méconnus de nos voisins, ceux que nous appelons, cette fois, avec une ironique et amicale complicité, les rosbifs ! ».
Ce petit livre rosbifs ! L’histoire des relations franco-anglaises au travers de la viande bœuf de Bénédict Beaugé chez textuel.
« Des moutons gambadant dans un paysage bucolique, d'immenses cheminées d'usine surgissant du sol, des tambours, une forge de l'enfer, un orchestre symphonique... Il faudrait dérouler un inventaire à la Prévert pour cueillir tous les fruits de l'esprit fertile du réalisateur du film Slumdog Millionaire… » et la Reine m’a-t-on dit s’ennuyait ferme…