Impressionnante Adeline, baskets, fluide, des fesses hautes, une poitrine ferme sans arrogance, et surtout des yeux bleu outremer qui, dès la première accroche, vous captaient pour mieux vous tenir à la bonne distance, bien gaulée au dire de Gabrielle, expression que j’avais vivement contestée au nom de la pureté de notre bel argot où la gaule désigne notre attribut exclusif de mâle. De manière un peu grandiloquente je m’étais insurgé de cette dilution de la langue qui nous ôtait l’un des fleurons de nos discussions entre mecs : avoir la gaule et, bien sûr, être bien gaulé faisaient partie de notre ADN de grand mâle blanc. Que nous resterait-il ? Plus grande chose, marque de la fin d’un monde, l’horreur absolue et définitive, lamento qui m’avait valu les lazzis de ma belle amie. Je lui avais vite rendu les armes car, après tout, dire d’Adeline qu’elle était bien gaulée m’allait bien et, pour retomber sur mes pieds, je m’étais mis à fredonner une chanson de Renaud : Toute seule à une table/Si c'est pas gâché/T'es encore mettable/Pas du tout fanée/T'as quoi? Quarante-cinq? /Allez cinquante balais/Tu fais beaucoup moins qu' Ta montre, ton collier/Ça fait bien une plombe/Que j'te mate en douce/Dans c'resto plein d'monde Que tu éclabousses/De ce charme obscur/Qui parfois nous pousse/Vers les femmes mûres/Et aussi les rousses/Toute seule à une table/Si c'est pas gâché/T'as les yeux du diable/Pi t'as l'air gaulée.
Nous avions croisé le Ministre dans l’antichambre, échange bref, sous contrôle, chez lui tout est toujours sous contrôle, pas la moindre trace dans ses propos de notre ancien compagnonnage, jugulaire, jugulaire, ce qu’avait beaucoup apprécié mon nouveau cicérone bien gaulé. C’est ce qu’elle m’avait déclaré sitôt que nous nous fûmes assis au fond d’un café de la rue des Saussaies où elle m’avait entraîné pour, à ses dires, mieux caler notre mission. J’avais obtempéré non sans avoir ironisé quelle mission ? Ce qui m’avait valu une réplique ornée d’un sourire plein de dents vous empêcher de vous livrer à vos habituelles fantaisies ! Elle me plaisait vraiment cette grande tige bien gaulée. J’avais opiné du chef avant de lui balancer, pince-sans-rire, dorénavant lieutenant tu me dis tu sinon je devrai sévir ! Le garçon, un rase moquette tout boulot, cheveux graisseux et ongles bouffés, déposait sur notre table ce qu’il est convenu d’appeler à Paris des petits noirs, tout en lorgnant sur la plastique d’Adeline. Tu veux toucher ! Ce ne sont pas des prothèses PIP… Sans demander son reste le loufiat battait en retraite la queue entre les jambes. Qui si frotte si pique… mais si tu le veux bien revenons un instant à mes habituelles fantaisies… Tu tiens ça d’où beauté infernale ? Elle grimaçait sous l’effet de sa première gorgée de café. Je la vannais si tu m’avais laissé l’initiative nous aurions tenu notre brief au Bristol… Sa réplique aurait pu me clouer définitivement au sol Tu y as une chambre à l’année ? mais j’inspirai profondément avant de lui claquer gentiment son joli petit bec Je ne fais pas encore la sortie des lycées jeune stupide… Si je l’avais un peu ébranlée elle n’en laissa rien paraître car elle embraya sur mes habituelles fantaisies en m’égrenant avec une précision, qui me laissa sans voix, ce qui devait être mon dossier dans la grande maison. Belle et intelligente, où se trouvait la faille ? Je trouverais et, plus j’observais Adeline, plus je pressentais que c’était ce qu’elle voulait.
Antoine était, je le savais depuis toujours, un garçon précis et organisé, des motos-taxis devaient nous prendre au bas de nos domiciles pour nous conduire jusqu’à l’aéroport du Bourget. Ainsi nous nous jouerions des éventuels embouteillages. Nos bagages étaient déjà dans la soute du Falcon EX. Le mien se réduisait à un sac de voyage, Adeline elle faisait dans le paquetage militaire et Gabrielle dans la profusion de valises. Je ne pratique pas la moto mais j’adore être passager depuis que j’ai traversé la Cordillère des Andes sur le siège arrière d’une BMW R-75 conduite par Marie-Amélie l’explosive épouse de notre ambassadeur à Santiago. Le confort de la mototaxi, une énorme Honda bardée de technologie, ne me procurait pas les mêmes sensations que l’ex-moto de la Waffen-SS mais me laissait le temps de me remémorer ce temps. « J’avais, vu le confort allemand de notre R75, le cul en compote et une soif d’enfer due à la sécheresse ambiante. Le pompiste tenait une sorte de cafétéria épicerie où je m’enfilai trois bocks d’une bière pisse d’âne. La comtesse, avant de me rejoindre, s’en était allée se refaire une beauté aux toilettes. À son retour je la félicitais pour ses talents de conduite. Elle avait descendu la fermeture-éclair de son blouson et la peau blanc de lait de sa gorge piquetée de grains de son attirait mon regard. Elle se posait face à moi, les coudes sur la table «est-ce que je vous fais bander ?» Ma réponse positive lui tirait un sourire carnassier. « Alors, profitons de vos bonnes dispositions jeune homme ! J’ai toujours rêvé de me faire prendre dans les chiottes ! » Abattu en plein vol j’osai une réponse indigne « Avec le litre de bière que je viens de m’enfiler ça risque d’être la Bérézina...» Un blanc s’installait avant que la comtesse très bravache me lance « vous ne perdez rien pour attendre... »