La pluie a eu raison de mon exil dans les bois, je suis rentré à Paris où je passe mon temps à faire des flambées emmitouflé dans mon vieux peignoir. Avoir une vraie cheminée à Paris, avoir le droit d’y faire du feu, ce qui est notre cas, est un luxe extraordinaire. Comme je suis un garçon né à la campagne, et que je sais qu’il faut des belles buches pour faire un beau feu, pas des buchettes minables vendues au prix du caviar, je suis allé, avant de revenir à Paris, chez mon vieux copain Paulo, qui fait du bois à Plailly et nous avons ramené dans sa vieille camionnette Ford un stère de bois sec que j’ai stocké sous une bâche sur mon balcon. Mes voisins, très « manif pour tous » coincés du col et du bas, vont me prendre, plus encore, pour un gitan infréquentable après l’épisode montée des buches dans l’ascenseur. Nous avons pourtant fait ça très proprement mais nos dégaines, pantalon de velours, vestes Adolphe Laffont et pataugas, ça faisait vraiment mauvais genre dans notre immeuble si convenable. Seule notre concierge portugaise nous a gratifié de grands sourires et, sans que je ne le lui demande elle a balayé la cour sitôt notre dernier remontage effectué. Pour la remercier, mon copain Paulo, qui ne voyage jamais sans carburant, lui a proposé une petite prune qu’il distille lui-même dans son fourbi de Plailly. Madame Goncalves nous a sorti des petits verres et nous sommes restés un long moment à bavasser. Plus exactement, Paulo, propriétaire d’une véritable meute pacifique dans sa forêt de Plailly, a prodigué des conseils à la brave madame Goncalves pour qu’elle puisse soigner, avec des remèdes de bonne femme, l’arthrose de son bâtard qui pue et qui bave.
Paulo est resté dîner. J’avais, bien sûr, lancé mon premier feu dans la cheminée et, au tout début, comme le conduit était froid, ça fumait un peu. Mathias fut fasciné par l’embrasement du petit bois sous les bûches, il battait des mains, et lorsque les flammèches commencèrent à lécher le bois fendu, stupéfait, il ne perdit pas une miette du spectacle. Mon art du feu me propulsa auprès de lui dans un statut de héros des temps modernes et lorsque Jasmine nous rejoignit, il lui raconta mes exploits avec force de détails. Comme Paulo adore le champagne je débouchai un magnum de la cuvée Vénus de mon ami Pascal Agrapart et devant mon feu qui maintenant crépitait Jasmine l’informa de sa future maternité. J’eus beau préciser que c’était peut-être un peu prématuré comme annonce vu que notre accouplement datait de tout juste huit jours, Paulo et Jasmine entamaient déjà le débat sur le choix d’un prénom qui se limitait au sexe masculin. Tout en tisonnant j’ironisais « à mon avis nous allons avoir des jumeaux, des filles j’espère, comme cela vous pourrez choisir chacun votre prénom. » Ça tombait à plat, ils ne relevaient même pas. Un peu vexé je fis diversion en branchant mon Paulo sur la victoire de Yannick Noah à Rolland Garros. Gagné, notre futur moutard passait aux oubliettes, notre Paulo je le savais allait raconter à Jasmine sa finale. Il y était, dans une loge au bord du cours, avec une place que lui avait filée la femme d’un grossium de la BNP qui était sa maîtresse. Je connaissais l’histoire par cœur mais j’adorais. Pour le désoiffer je tenais sa flute de champagne constamment pleine. Jasmine l’écoutait religieusement. Mathias, qui avait récupéré son nounours, lui racontait que son père, moi en l’occurrence, était un grand sorcier. Tout à la fin du récit épique de Paulo, afin qu’il reprenne son souffle, je plaçai la réponse de Yannick à la question posée par les journalistes du Monde – ce n’est pas dans l’Equipe qu’on ferait ça – « En France, le politiquement correct, en ce moment, c'est le « Hollande bashing ». Vous aviez soutenu sa candidature pendant la campagne présidentielle. Un an plus tard, faites-vous partie des électeurs déçus ? »
« Déçu de quoi ? Je ne m'attendais pas à ce que, du jour au lendemain, tout le monde ait du boulot et se mette à danser Saga Africa. Hollande a été élu largement, et le lendemain de son élection les gens râlaient déjà. C'est la crise. Il faut qu'on se serre la ceinture et qu'on y aille tous ensemble. Sincèrement, je ne pense pas que la situation du pays soit la faute de Hollande. Personne ne pourrait faire mieux à sa place. Il arrive, le match est pourri, les balles sont pourries, le court est pourri, les arbitres sont corrompus, et le public a envie qu'il paume. » Ensuite nous sommes passés à table et très vite la conversation s’est orientée vers les « néo-branleurs cathos » qui proclament à qui veut l’entendre qu’ils vont nous faire un contre-Mai 68. J’adore le verbiage de ses petiots et petiotes propres sur eux, une petite poignée de la génération Y des beaux quartiers, qui rêvent « de combattre le système culturel dominant en changeant notre société « libertaire, gangrenée par l'individualisme et le relativisme ». Des petits rejetons des JMJ, des enfants nourris au lait de Jean-Paul II « Une démocratie sans valeur peut se transformer en totalitarisme sournois. » C’est tellement risible que nous portons un toast aux « Hommen » qui ont manifesté, masqué de blanc, torse nu couvert de slogans du type « Hollande, fais ton sac ! Fais comme Cahuzac ! » « Hollande, ta loi, on n'en veut pas ! » « CRS, serre les fesses, Pierre Bergé te tient en laisse ! » Paulo et moi ça nous émoustille sec. Aller faire le coup de poing, y compris américain, avec ces lopettes nous votons pour. Jasmine, un peu inquiète, nous demande si nous sommes sérieux. Notre réponse positive de concert la plonge dans un abime de perplexité. Paulo la rassure « t’en fait pas ma belle nous en ferons du petit bois sans même nous écorcher les mains… »