Jasmine au téléphone m’a dit « toi, dès que tu fourres ton grand pif quelque part c’est le boxon ; tu adhères à l’UMP et voilà que sitôt le roquet de Meaux et le cocker triste se bouffent le nez jusqu’au sang ; tu te tires pour reprendre le fil de ton histoire au temps des Brigades Rouges et vlan l’inoxydable Andreotti casse sa pipe… » Pour faire diversion je lui ai demandé des nouvelles des mouflons. Elle m’a répondu du tac au tac qu’elle souhaitait faire un troisième enfant. J’en suis resté comme deux ronds de flan à l’autre bout de ce qui n’est plus un fil puis, bêtement, je lui ai demandé pourquoi ?
- Pour plein de raisons mon grand !
- Tu aurais dû dire mon vieux…
- Ça ne prend pas coco, ne me la joue pas troisième âge sinon je te flanque à l’hospice…
- Pas mal comme lieu pour écrire mon amour.
- Et pour le faire aussi l'amour…
- Il te faudra attendre mon prochain passage à Paris.
- Non !
- Alors viens me rejoindre
- Oui mon grand, je ne suis pas très encombrante.
- Mais t’es un peu chiante…
- C’est pour ça que tu m’aimes.
- Que tu dis…
- Prépare ta défense je suis déjà à la gare.
- Bon voyage mon amour je me prépare à subir tes assauts.
- Petit con…
- Non vieux…
- J’ai envie…
- Que tu dis…
- T’as pas envie ?
- Je suis un moine…
- T’adore !
La fine mouche, qui me connaît mieux que sa poche, savait très bien où j’avais trouvé refuge pour abriter mes envies d’écriture ; ma remontée vers le Nord restait modeste, mais elle me permettait de couper le cordon ombilical avec la capitale. À quelque pas d’une gare d’opérette l’hôtel était simple, familial, peuplé de VRP mal habillés et la forêt tout autour me permettait de faire de longues promenades à pied jusqu’aux étangs de Commelles. Manquait ma chienne. Ma chambre, comme toutes les chambres d’hôtel, ne me prédisposait guère à l’écriture, je m’y sentais à l’étroit, enfermé. Jasmine le savait. Elle savait aussi qu’elle y trouverait les conditions idéales pour arriver à ses fins. Nous y sommes restés deux jours, mangeant des fraises, buvant du café dans lequel elle trempait ses spéculos. Le temps pourri dehors nous donnait le sentiment que nous étions calfeutrés dans un sous-marin, la nuit je lui parlais d’Andreotti au temps où les Brigades Rouges avaient enlevé Aldo Moro. Le choix du président de la Démocratie Chrétienne fut à l’image de la logique des dirigeants des « Brigate Rosse » un mélange étrange de pseudo-analyse politique et de méconnaissance totale des jeux d’influence qui traversaient cette énorme « baleine blanche » échouée au centre de l'échiquier politique italien qui sécrétait tout et son contraire, y compris sa propre opposition. Andreotti était le personnage le plus emblématique de la DC, « c'est un jeune homme capable, tellement capable, que je le crois capable de tout », dira de lui son maître Alcide De Gasperi, fondateur de la Démocratie chrétienne, en 1943. Pour le petit rabougri qui allait à la messe tous les matins, le fils à sa maman Rosa fasciné par les splendeurs du Vatican, d’apparence insignifiant « j'ai conscience d'être de stature moyenne mais je ne vois pas de géants autour de moi. » disait-il, c’est cap toute sur le centre-centre tout en gardant toujours un pied dedans, un pied dehors avec des liaisons dangereuses avec des personnages sulfureux, Michele Sindona, le « banquier de Dieu » mort d'un café au cyanure, Licio Gelli, grand maître de la Loge maçonnique secrète P2, ou encore Roberto Calvi, l'homme d'affaires retrouvé pendu sous un pont à Londres en 1982, et bien sûr les gérants de la Mafia pour s’assurer du contrôle du grand grenier à voix de la Sicile. « Personne n'est à l'abri de certaines fréquentations. Même Jésus-Christ parmi ses douze apôtres, avait Judas. » Giulio tirait les ficelles, retombait toujours sur ses courtes pattes, cultivait l’art du compromis en artiste consommé, cimentait la sainte alliance anticommuniste.
Mais pour ces buses stupides du carré des chefs des BR : Andreotti-Moro c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Pour eux, la DC c’était le pouvoir, celle qui représentait l’Etat qu’ils voulaient frapper au cœur. À chaque fois que j’avais pu mettre mon grain de sel dans leur étrange processus de décision soi-disant révolutionnaire je m’étais toujours heurté au même discours de Mario Moretti, le vrai chef, « Andreotti et Moro marchent la main dans la main depuis des lustres, ils de donnent la réplique depuis plus de 30 ans, l’un au gouvernement, l’autre depuis le parti et vice et versa… » Pour lui, entre les deux, il ne voyait qu’une différence de style « Moro c’était le grand-prêtre qui, pour permettre au pouvoir de fonctionner, était prêt à créer et à utiliser l’hérésie : le compromis historique avec le PC de Berlinguer. Andreotti, lui, c’était « le magicien qui, à la fin de son tour, faisait disparaître toute le pile de cartes. » Sans être grand clerc mes « compagnons » révolutionnaires, sans l’avouer, sentait qu’Aldo Moro était le seul qui pouvait donner un nouveau souffle au système qu’ils voulaient détruire. Andreotti était un allié objectif des BR, il était le meilleur agent de décomposition du pouvoir d’Etat. Mon statut d’étranger ne me permettait pas de peser sur les décisions, on me maintenait à bonne distance même si on me ménageait car j’étais l’un des rares à pouvoir approvisionner les BR en armement et munitions. Ma logique agaçait. Moretti me rétorquait, à défaut d’argumentaire solide, que les BR était une organisation révolutionnaire pas une coterie du palais du Quirinal. Dès que je sus que leur décision était irrévocable je décidai de prévenir Paris. Le Ministre de l’Intérieur du troisième gouvernement Barre était Christian Bonnet essentiellement préoccupé par les futures échéances électorales intérieures. Les délires des BR pour lui ce n’étaient que des calembredaines qu’ils laissaient volontiers entre les mains des agents du SDEC qui, en dehors d’être obnubilés par la menace communiste, n’avaient pas la queue d’une idée, et surtout n’étaient pas infiltrés dans les mouvances de l’internationale gauchiste. J’étais réduit à l’impuissance