Je me remis avec rage à l’écriture mais en prenant le temps de me connecter et de baguenauder sur la Toile. Très vite, sous l’impulsion de Jasmine, je me créais un profil sur face de bouc, un profil totalement bidon mais qui pourrait me servir à faire transiter, dans l’immense barnum de ce réseau social mondial, des inserts qui intéresseraient quelques collègues pratiquant le même jeu. Difficile en effet de contrôler tout ce qui transite sur Facebook, surtout que, bien évidemment, j’avais choisi de me cacher derrière une Bimbo essentiellement préoccupée de sa ligne, de ses affaires de cœur et de cul. Autre précaution essentielle je ne postais rien sur Facebook à partir de mon ordinateur personnel mais depuis des boutiques Internet, jamais les mêmes. Les adresses IP sont des traces à partir desquelles il est facile de remonter jusqu’à l’émetteur du message. Ainsi je pus continuer, à distance, à collationner les infos sur l’affaire de Kbis. Le sort de celui-ci ne préoccupait pas outre mesure, ce qui m’intéressait c’était de mesurer l’inanité de ce qu’écrivaient les journalistes, surtout les Français dont la réputation d’enquêteur en chambre manipulés par la grande maison n’était plus à faire.
Bien évidemment, du côté de ceux qui savent ce devenait un jeu d’enfant de semer le trouble. Ceux qui dénonçaient les obsédés du complot comme les négationnistes procédaient de la même philosophie : embrouiller le bon peuple pour qu’il ne lui vienne pas à l’idée, au nom de je ne sais quelle transparence, de réclamer des comptes à ceux qui les gouvernent. Le degré de collusion entre les services est tel que plus personne n’est en mesure de contrôler qui fait quoi, qui a monté quoi, qui manipule qui. Tout comme les chercheurs qui mettent en œuvre des stratégies de mise en avant de la validité et de la pertinence de leurs travaux pour drainer un maximum de capitaux vers leurs laboratoires les hommes de l’ombre se doivent d’entretenir leur fonds de commerce par des opérations de déstabilisation qui ravivent la tension justifiant ainsi leurs crédits. Les services jouent dans la même cour que les multinationales qui, elles aussi, se doivent de faire du renseignement auprès de leurs concurrents. La porosité entre le privé et le public est telle, que là encore, les collaborations se nouent tout naturellement. Alors, lorsque je lisais les hebdos français sur l’affaire de Kbis je me marrais vraiment : ils gobaient tout et n’importe quoi. Le journalisme d’investigation à la française, essentiellement basé sur l’antagonisme juge-police et non sur de véritables informateurs révélait dans cette affaire comme dans beaucoup d’autres toutes ses limites. Ce serait risible si ce n’était pas lamentable.
Le fait nouveau depuis mon retour de New-York c’était mon intérêt grandissant pour la Toile en tant élément de camouflage et de circulation d’informations confidentielles. Bien sûr ça n’avait rien à voir avec le baratin de ceux qui se prennent encore pour les Grands de ce Monde, comme le petit chef Français qui déclarait récemment chez Google avec l’enthousiasme du néophyte « le Web » a apporté la transparence aux citoyens. « Il ne sert à rien de résister à cette transparence, a poursuivi le chef de l'Etat. Il vaut beaucoup mieux jouer le jeu de l'accès aux données publiques que de résister. Il n'y a pas de secrets d'Etat. Ce n'est pas possible ! » Là, comme partout, dans le bel espace de liberté les barbelés se dressent encore et les secrets d’Etat ont toujours inaccessibles sauf que pour les préserver les hommes d’Etat doivent faire confiance à des petits génies du camouflage électronique. Les murs en dur n’existaient plus, ils étaient perméables car la loyauté de leur érecteur n’était plus une valeur. Pour obtenir ce que l’on souhaitait, plus encore qu’au temps ancien, il fallait y mettre le prix fort, très fort. A cela s’ajoutait les hackeurs fous ou festifs, venus de lieux improbables et presque totalement insaisissables. L’important pour les services, afin de se préserver, consistait à propulser des leurres dans les tuyaux pour que le faux soit encore plus vrai que le vrai. Alors dans les affaires de Kbis les fauves étaient lâchés mais les dompteurs prenaient peur car le bon peuple doutait de leur honnêteté.