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6 décembre 2009 7 06 /12 /décembre /2009 00:00

Au cours du dîner qui suivit le meeting las des mondanités j’entrepris mon cher Ministre sur la fin des Paysans, un thème auquel il n’était pas insensible mais qui défrisait les caciques du syndicalisme agricole. La 1ière chaîne de Télévision dans son émission Hexagone avait mis le feu aux poudres. En effet, la vision duale de l’agriculture exprimée dans le documentaire très réaliste, Adieu coquelicots, signé de François-Henri de Virieu chroniqueur au journal Le Monde cristallisait le malaise identitaire des gaullistes et des dirigeants paysans. Oser mettre en avant que l’avenir était ce GAEC de l’Isère avec son étable de 1000 vaches laitières, ses deux éleveurs, dont l’un d’eux était prof de maths constituait un crime de lèse-agriculture familiale. La France éternelle des champs se voyait ravaler par des technos comme René Groussard au rang d’un secteur comme les autres à moderniser à marche forcée. Ironiquement je soulignais, face au bel Albin médusé, et à un Préfet au bord de la défaillance, que le mémorandum Mansholt publié à la fin de 1968 et le Rapport Vedel affirmaient sans détour qu’une partie de la paysannerie était condamnée à terme et qu’elle devait se reconvertir. Pour Sicco Mansholt 80% des exploitations sont trop petites. La pilule est amère même pour les modernistes, tel Michel Debatisse car le diagnostic des « technocrates » met à nu les ambigüités de leur propre pensée. En effet, martelais-je, comment pourraient-ils concilier leur stratégie économique de modernisation qui jette sur le bord du chemin beaucoup de paysans et le mythe de l’unité paysanne chère à la FNSEA. Faisant étalage de mes lectures je citais une tribune de Maurice Papon  au Monde « Mansholt et Malthus » publiée le 8 avril 1969 use de sa rhétorique pour stigmatiser ce plan qui « est une erreur à l’échelle de l’histoire » car il risque « d’amplifier le risque de massification urbaine sur lequel la société urbaine sera sans doute obligée de revenir pour survivre ». Un visionnaire le Maurice !

 

Face à un tel déluge de mots, et surtout au silence quasi-religieux qui s’était installé autour de la table Chloé elle-même me contemplait avec un étonnement sidéré. « Pour une fois tu parlais vraiment avec tes tripes, sans calcul, tu vivais ton sujet comme si pour toi l’enjeu touchait à ce que tu as de plus profond... » me fit-elle remarquer lorsque nous nous retrouvâmes dans l’immense chambre que nous avait alloué le Préfet. Avachi sur une bergère je lui répondais qu’elle touchait juste, que moi le fils de paysan vendéen je ne pouvais rester indifférent à cette fameuse « Révolution Silencieuse » qui allait broyer beaucoup des miens. Du petit cartable qui m’accompagnait toujours je tirai une coupure des débats à l’Assemblée Nationale où Michel Cointat se livrait à un grand moment de démagogie qui devrait figurer dans une anthologie de la pensée agrarienne. Me levant et me juchant sur le velours cramoisi de la bergère je déclamais Chloé applaudissait.

 

Le lendemain matin, à la première heure, dans une fourgonnette Peugeot, que les services du Préfet avait dégotté je ne sais où, Chloé et moi prenions le chemin de la Grande Brière. Aussi étrange que cela puisse paraître, à la suite de ma péroraison agricole ma cote auprès de mon Ministre était montée de plusieurs crans. Face au Préfet totalement à l’Ouest et aux grands élus du département, tellement ravis d’être à la table d’un Ministre de cette envergure qu’ils gobaient mes paroles sans trop savoir de quel côté il allait devoir pencher, le bel Albin me couvrait de fleurs et me promettait un bel avenir en politique. À l’heure des cigares et du café ma requête pour qu’on mît à ma disposition un véhicule afin que ma douce et moi allions nous ressourcer dans les profondeurs de la Grande Brière avait reçu une immédiate acceptation du Préfet qui devait penser que sa célérité à me satisfaire lui vaudrait sans nul doute les faveurs de Paris. La Grande Brière avec ses canaux, ses plans d’eaux peu profonds, ses roselières, ses prairies inondables et ses buttes où se perchent de minuscules villages est un monde clos, un monde consanguin, autarcique. Les Briérons pendant des siècles bénéficièrent d’un statut unique en France : ils étaient propriétaires du marais par la grâce du duc François II de Bretagne. Chassant, pêchant, pratiquant l’élevage et tirant l’essentiel de leur subsistance du marais, les habitants de ce marais brûlant la tourbe extraite de leur sol manifestèrent toujours une franche hostilité à tout ce qui venait du dehors. Comme Chloé et moi ressentions un réel besoin de nous isoler pour mettre un peu d’ordre dans nos vies chaotiques dans l’hostilité profonde de la Brière nous étions sûrs que les autochtones nous ignoreraient.

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