Pour ma génération de soixante-huitard non révisés, l’amer Michel, le ci-devant Michel Debré, Premier ministre de la toute nouvelle Ve République dont il venait de rédiger la Constitution, constitua l’une de nos têtes de turc favorite. Il était le fils aîné de Robert Debré, un ponte de la médecine hospitalo-universitaire, fondateur de la pédiatrie moderne et créateur des CHU, dont le nom est maintenant apposé sur un grand hôpital pour enfants posé au bord du périphérique. Pour nous le seul Debré sortable était Olivier Debré, le grand artiste peintre. L’homme à l’entonnoir du Canard Enchaîné a produit deux faux-jumeaux : Bernard et Jean-Louis Debré. Le premier est chef du service d'urologie à l'hôpital Cochin où il opéra de la prostate François Mitterrand, député de Paris, il n’a pas sa langue dans sa poche ; le second Jean-Louis, chiraquien pur sucre, auteur de polars, a baigné dans le RPR jusqu’aux oreilles, a été Ministre de l’Intérieur sous Juppé et il occupe en ce moment le très prestigieux poste de Président du Conseil Constitutionnel. Les deux faux-jumeaux ne s’aiment guère mais ils partagent la même aversion pour le petit Nicolas dont le nez bouge lorsqu’il regarde les Français dans les yeux à la télé… Ils l’ont taclé, si je puis m’exprimer ainsi, sévèrement, sans prendre de gants, si ce n’est ceux de boxe, sur les sujets qui fâchent tant notre ancien président qui passe son temps à écouter Carla, à faire des conférences pour des gros euros et dans les locaux de notre basse police qui le traite comme elle le fait pour tous les pékins, pas très bien.
Commençons donc par le Bernard qui a accablé l'ancien président de la République à propos de l’affaire Bygmalion. Pour lui il ne fait aucun doute que Nicolas Sarkozy était au courant des dépassements de sa campagne et que c'est même « sa faute » si ceux-ci ont explosé. D’ailleurs, toujours selon lui, l'ancien chef de l'Etat s'emportait à chaque évocation du sujet par ses proches. « C'est un homme qui est pétulant, plein de vigueur. C'est ça qui donne le danger. Quand il a fait sa campagne, on lui disait « Mais attends Nicolas, on dépasse ! ». Ce à quoi il aurait répondu: « M'en fous ! Qu'est-ce que ça veut dire ? Tu veux que je sois pas élu, tu veux que je sois battu? » Et Bernard Debré de poursuivre : « C'était impossible de gérer donc il était au courant, c'est de sa faute bien entendu. Mais je dis simplement est-ce que les Français voudront, si l'on voit que sa campagne électorale a dépassé non pas de 400 000 euros comme le disait le Conseil constitutionnel, mais de 17 millions, est-ce qu'on va pouvoir dire après tout il était président de la République, il a contrevenu à la loi ». Moqueur, le Bernard conclut à propos de son éventuel retour à la présidence de l'UMP. « Il est tellement au-dessus des autres que l'on se demande s'il n'est pas sur la planète mars »
Du côté de Jean-Louis c’est bien plus rude car bien argumenté :
En effet, lorsque le nouvellement rasé de près affirme aux Français les yeux dans les yeux :
« Il n’y a jamais eu le moindre système de double facturation. Que les 17 millions qu’on prétend dépendre de ma campagne qui auraient été cachés, c’est une folie. Personne, jamais, ne peut imaginer que les enquêteurs du Conseil constitutionnel ou de la commission des comptes de campagne soient passés au travers. »
Faux, répond Jean-Louis Debré: le Conseil constitutionnel n'a pas *enquêté* sur les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy, mais s'est seulement chargé de valider, ou d'invalider une décision de la Commission nationale de Contrôle des comptes de Campagne (CNCCFP) :
« L'ancien président de la République a indiqué dans son intervention 'les enquêteurs du Conseil constitutionnel'... Nous n'avons pas des enquêteurs, nous n'avons pas de pouvoir de police judiciaire, nous ne pouvons pas faire de perquisitions, des saisies !
Lorsqu'il y a un an nous avons instruit l'affaire, c'est moi qui signais les lettres pour demander des précisions à telle ou telle personne. Bref, ne présentons pas le Conseil comme il n'est pas. Nous ne sommes pas la police judiciaire, première précision.
Jean-Louis Debré n'en a pas terminé. Il poursuit :
« On laisse entendre que nous aurions vérifié l'ensemble des comptes de la campagne de l'ancien président de la République. Non ! Ce n'est pas exact !
Nous avions été saisis du recours de monsieur Sarkozy lui-même, qui contestait la décision de la Commission Nationale des comptes de campagne aux termes desquels il avait dépassé le plafond des dépenses autorisées, et n'avait pas le droit au remboursement forfaitaire. Nous n'avons examiné que les griefs de monsieur Sarkozy, nous n'avons pas examiné tout le compte. Et nous avons simplement dit que les griefs qu'il évoquait pour contester la décision de la CNCC étaient inopérants.
Nous n'avons pas validé les comptes, nous avons simplement validé la décision de la Commission nationale de contrôle qui avait constaté qu'il avait dépassé les plafonds autorisés. »
Jean-Louis Debré, ancien juge lui-même, ne goûte guère la mise en cause de la juge Claire Thépaut link parce qu’elle appartient au syndicat de la magistrature, classé à gauche. Le président du Conseil constitutionnel estime en tout cas que ce n'est surement pas cela qui l'empêchera de faire correctement son travail :
« Le législateur a admis la liberté syndicale dans la magistrature. Attention à tous ces arguments que tout le monde peut s'envoyer dans la figure. Je connais bien les magistrats, j'ai été magistrat, vous pouvez avoir vos opinions et essayer de rechercher la meilleure justice possible.
Tout le monde n'est pas militant de tout, à droite comme à gauche. Si on conteste la justice. Je veux bien qu'on conteste une décision de justice, qu'on critique une décision de justice. Qu'on fasse appel. Quand on n’est pas content de son juge, il y a des procédures.
Mais on ne livre pas à l'opinion publique comme ça ce slogan, « allez, c'est une affaire de juges ». Non, il y a un procureur de la République, il y a des institutions, il y a des garanties, un Conseil supérieur de la magistrature. Faisons en sorte que la justice soit sereine. Je connais beaucoup de magistrats qui ont des idées politiques, je peux vous garantir que lorsqu'ils instruisent, ils instruisent en fonction du droit et de la recherche de la vérité. »