Ce matin, la Grande Maison était en ébullition, une fois n’est pas coutume, les chefs en tête. Ça dessoudait sec. La bonde, comme les bureaux, était grande ouverte, les langues se déliaient « Cette fois-ci il a complètement perdu les pédales de son cyclorameur le petit lapin Duracell, sans plaisanter comment peut-il se permettre d’affirmer dans son adresse aux Français que dans la République « on n'écoute pas les journalistes, pas davantage que les avocats dans l'exercice de leurs fonctions » alors que son affidé, Bernard Squarcini, l'ancien directeur central du renseignement intérieur, a été jugé le 18 février pour avoir demandé les fadettes d'un journaliste du Monde, dont 490 conversations ont été par ailleurs écoutées sur ordre d'un juge en mars 2009. » Ce type ne supporte ni d’être congédié, rappelons-nous la première fugue de Cécilia avec Richard Attia, ni d’être pris la main dans le sac de ses malices. C'est lui qui a fait adopter la rétention de sûreté en 2008 qui interdit à certains détenus d'être libérés lorsqu'ils ont terminé leur peine. Ministre de l'intérieur, partisan du karcher, il a autorisé en 2006 les policiers à saisir, sans le contrôle d'un juge, les données de connexion des opérateurs téléphoniques. C’est la loi Perben 2, dont il est l'inspirateur, qui a permis aux policiers de placer des micros ou des caméras dans les voitures ou chez les gens à leur insu, et la garde à vue a été étendue à 96 heures. Si nous sommes devenus la Stasi c’est grâce à lui ! Tout le monde ici sait que les écoutes sont, sur un plan juridique, parfaitement légales lorsque tu risques 2 ans au trou, comme pour le trafic d'influence le tarif c'est 5 ans maxi, y'a pas photo le nabot. Le juge d'instruction peut, « lorsque les nécessités de l'information l'exigent» ordonner des interceptions, sans recours possible. Il peut aussi écouter un avocat à condition de prévenir son bâtonnier, c’est une loi du 10 mars 2004, l'arroseur arrosé était alors à l'intérieur. Pour le baveux la retranscription de la conversation avec son client n'est possible que si elle est « de nature à faire présumer la participation de l'avocat à une infraction ». Bon, là aussi y'a pas photo, des pratiques de gangsters avec des numéros de téléphone usurpés...
Je quittai la place Beauvau, à pied, afin de rejoindre Adeline au Laurent. Le soleil nous offrait la magnifique terrasse pour notre déjeuner. Mon petit doigt me disait que j’allais avoir droit à la question et, le petit sourire qu’Adeline affichait et ses yeux de biche enamourée, ne me laissèrent aucun doute sur la réalité de mon intuition. Je fis l’âne qui veut avoir du foin, je la laissai faire son petit numéro de charme pour que je lui conte mon escapade à Berlin-Est, de l’autre côté du mur. « Mais pourquoi diable veux-tu que je radote à propos de souvenirs qui sentent la poussière, mon amour ?
- Parce que toi tu sais ce qu’est la STASI !
- Ça me fait une belle jambe…
- Ne joue pas au blasé ça ne te va pas !
- Je t’adore…
- Je te déteste…
- C’est bon, j’adore ça…
- Tu dis !
- Oui…
- T’es un amour !
- Ça va te coûter très cher ma belle !
- Pas de souci j’ai tout le crédit qu’il faut…
« Nous ne partîmes pas, Chloé et moi, le nez au vent pour Berlin-Ouest. Les semaines qui précédèrent notre départ furent toutes entières consacrées à des prises de contact avec des camarades allemands. Là-bas comme ici les groupuscules florissaient, la méfiance régnait face au risque d’infiltration et, comme notre réputation française de légèreté et d’inorganisation ne plaidaient pas en notre faveur, nous ne recevions que des réponses vagues. Ce fut le hasard qui nous tira d’affaires, lors d’une manif contre la guerre du Vietnam, lors de la dispersion nous dégotâmes auprès d’une grande bringue, Ilse Meyer, fille d’un grand industriel allemand, qui avait défilé à nos côtés, un contact répondant au prénom de Sacha. « Tout le monde à Berlin connaît Sacha... » se contenta-t-elle de nous répondre lorsque nous lui demandâmes un peu plus de précisions. « Dites-lui que vous venez de ma part et tout ira bien... Là-bas, c’est encore plus simple qu’ici, c’est noir ou c’est rouge, si tu cries par ta fenêtre « salaud de nazi ! » à un mec de plus de 40 ans tu tombes à chaque fois juste... » et, sans aucune retenue, elle avait embrassé Chloé sur la bouche tout en lui pelotant les fesses. Sa compagne, une hommasse, plate comme une limande, avec ses poignets de force cloutés et ses Doc Martens, mit fin aux effusions en les traitant de « grosses salopes ! » Comme je me sentais en forme je lui empoignais l’entrejambes en ricanant « allez, un petit effort ma grande, tu verras comme c’est chiant d’en avoir entre les cuisses... » Autour de nous les slogans contre les faucons du Pentagone, Harry Kissinger, Lyndon Johnson et le napalm de l’impérialisme américain couvraient les cris et les jurons de celle qu’Ilse tirait par la manche de son Perfecto : « allez viens ma grande, les mecs sont tous des porcs... »
Dans le Berlin coupé en tranches, « le Schweinesystem : le système des porcs », dans la bouche de l’ultragauche ouest-allemande, qualifiait la collusion des chrétiens-démocrates avec l’impérialisme américain. Le problème là-bas, avec le foutu mur de Berlin, c’était que le plutôt rouge que mort sonnait encore plus faux qu’à Paris car l’Ours soviétique et ses alliés de la RDA faisait bander mou beaucoup d’entre nous. Chloé me morigénait « arrête de jouer les machos, ça m’énerve ! ». Je l’immobilisais en la prenant par les poignets « Je ne joue pas ma belle. Je surjoue car je ne supporte pas ce féminisme dévoyé. La haine du mâle ne fait pas avancer d’un poil la cause des femmes. J’aime trop les femmes pour céder un seul pouce sur la dérive agressive de ces soi-disant femmes libérées qui sont pires que les plus bornés des couillards... » Chloé m’enlaçait « Tu es beau lorsque tu es en colère. Lâches-toi plus souvent c’est comme cela que je t’aime... »