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6 octobre 2013 7 06 /10 /octobre /2013 07:00

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Je ne sais pourquoi, sans doute un peu las de me raconter, je dis à Adeline que j’aurais aimé que nous passions une nuit au Grand Hôtel des Bains du Lido mais que c’était impossible car celui-ci n’était plus. Ni réduit en cendres, ni enseveli dans les sables de la lagune, tout bêtement vendu à un promoteur de Padoue, EstCapital pour être découpé en appartements de luxe. C’est pire que tout que ce joyau Art nouveau où j’avais séjourné, comme Dick Bogarde dans Mort à Venise, en soit réduit à cette dégradation ignominieuse. Adeline exigea que nous trouvions le DVD. Notre pilote nous mena là où il fallait. Nous rentrâmes et, blottis dans notre lit, face à l’immense écran plat nous le visionnâmes. Ensuite, le majordome nous servit un plat de pâtes. Adeline, me soumit en mangeant à la question. Alors je lui parlai de Thomas Mann qui, en 1951 expliqua à Visconti qui préparait son film que « La Mort à Venise » était la fidèle transcription de souvenirs personnels : « Rien n’est inventé, lui dit-il, le voyageur dans le cimetière de Munich, le sombre bateau pour venir de l’Ile de Pola, le vieux dandy, le gondolier suspect, Tadzio et sa famille, le départ manqué à cause des bagages égarés, le choléra, l’employé du bureau de voyages qui avoua la vérité, le saltimbanque, méchant, que sais-je… Tout était vrai... L’histoire est essentiellement une histoire de mort, mort considérée comme une force de séduction et d’immortalité, une histoire sur le désir de la mort. Cependant le problème qui m’intéressait surtout était celui de l’ambiguïté de l’artiste, la tragédie de la maîtrise de son Art. La passion comme désordre et dégradation était le vrai sujet de ma fiction. Ce que je voulais raconter à l’origine n’avait rien d’homosexuel ; c’était l’histoire du dernier amour de Goethe à soixante-dix ans, pour une jeune fille de Marienbad : Une histoire méchante, belle, grotesque, dérangeante qui est devenue « La Mort à Venise ». A cela s’est ajoutée l’expérience de ce voyage lyrique et personnel qui m’a décidé à pousser les. Choses à l’extrême en introduisant le thème de l’amour interdit. Le fait érotique est ici une aventure anti-bourgeoise, à la fois sensuelle et spirituelle. Stefan George a dit que dans « La Mort à Venise » tout ce qu’il y de plus haut est abaissé à devenir décadent et il a raison ».


Nuit blanche, nous bûmes en explorant pour la énième fois le territoire de nos corps. Au petit matin, même si mes yeux ne supportaient pas la lumière naissante, j’achevais mon récit sur Robert. Adeline tira les persiennes et c’est dans une obscurité d’encre que je triturai ma mémoire « C’était infantile. Robert enrageait. Voir des non-organisés confisquer le grand élan de la révolution populaire, le transformer en un happening violent, à coups de pavés, de manches de pioches, dans les quartiers bourgeois, le plongeait dans un abime d’incompréhension. Lui et ses amis prochinois avaient beau distribuer un tract « Et maintenant aux usines ! » pour exhorter les étudiants à migrer vers la banlieue, là où vivent et travaillent les larges masses, ils étaient totalement à côté de la plaque. Hors la vie, comme toujours. La garde rapprochée de Robert, même si certains étaient ébranlés, comme Roland et Tiennot, par la spontanéité et la force de la rue, ne réfutait en rien sa dialectique impeccable. La force des avant-gardes, ce noyau dur, d’acier trempé, est d’avoir raison contre tous. Personne n’osait l’interrompre, il  était sur l’Olympe, sourd dans sa bulle d’exaltation. Sauf, et c’est le genre de détail qui faisait bander le RG de base, qu'une voix discordante s’était élevée pour contester le n°1, l’interrompre, c’était celle de Nicole, sa femme. Crime de lèse-majesté, cette femelle osait lui balancer que les choses ne se passaient plus ici, dans ce huis-clos surréaliste, mais dans la rue. Le maître l’avait viré sans ménagement, avec un argument d’autorité : « elle n’avait pas le droit de parler dans ce Saint des saints des détenteurs de la vérité révolutionnaire. » Le reste, insinuations sur qui couche avec qui, ne présentait aucun intérêt, sauf bien sûr pour les gros cons de la Grande Maison que ça excitaient.

 

Pour Robert ce fut le début de la chute aux enfers. Il souffrait. Ne mangeait plus. Divaguait. Il déraillait. Il décollait. Il fuyait le réel dans un discours de fou. Ses lâches compagnons de route, même s’ils s’inquiétaient de son état, soit se planquaient, soient le laissaient délirer au nom de je ne sais qu’elle soumission à la toute-puissance du guide. La dernière clé d’explication d’une situation qui lui échappait c’était bien sûr la théorie de la machination, d’un complot ourdi par une improbable alliance entre le pouvoir et les social-traîtres. Bouclé à double tour dans son hermétisme, il savait. Jamais il n’en démordrait. Mes petits camarades listaient alors un incroyable enchaînement de faits qui montraient que le brillant intellectuel passait la frontière de la raison. Ses actes étaient autant de degrés dévalés qui précédaient l’effondrement. Robert sortait de sa tour d'ivoire, de son réduit, pour se rendre rue le Pelletier, au siège du PC, pour offrir son soutien à Waldeck Rochet, sauver la classe ouvrière contre elle-même. Refoulé par les sbires des moscoutaires il rédigeait alors une lettre d’insulte à Mao qui s’était déclaré en faveur des barricades et accompagné d’un ami, il prenait un train, mais se sentant traqué il sautait en marche. Tout cela me paraissait totalement fou, je doutais. En définitive Robert était hospitalisé et se retrouvait en cure de sommeil. 

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