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17 novembre 2013 7 17 /11 /novembre /2013 07:00

Pour le dîner, le beau Daniele s’était surpassé. Il avait pillé tout Venise pour cuisiner les truffes d’Alba que son cousin Antonio lui avait fait livrer par colis express.

-         Tagliolini al buro e tartufo bianco

-         Risotto carnaroli con cuore di fonduta  d’Alba e parmesan

-         Fileto di manzo al barolo con patate e tartufo bianco.

 

Adeline, pour faire honneur à la table dressée comme pour une réception chez le doge de Venise, passait une robe fourreau noire, fendue jusqu’au haut de sa cuisse gauche, sagement nouée autour du cou pour mieux mettre en valeur un décolleté vertigineux qui dévalait toute sa chute de reins. Je m’extasiais et je m’étonnais. « Où as-tu trouvé cette merveille ?

-         C’est la femme de Daniele qui me l’a faite.

-         Parce qu’en plus Daniele a une femme…

-         Et cinq enfants, que des filles…


Je soupirais. « Et ces talons aiguilles, tu veux m’humilier…

-         Non je veux te faire craquer pour que tu m’irrigues de ta semence au goût d’amande…

-         Il m’en faut plus Vampirella…

-         Ne te vantes pas, sers-moi du champagne ! Les vénitiens sont fous de champagne… Ensuite, fais-moi plaisir, tu files dans notre nid d’amour où t’attends une petite surprise.


Je craignais le pire. À mon retour Adeline s’exclamait « Je n’aurais pas dû !

-         Tout le monde fait des erreurs. J’ai l’air d’un vieux mafioso… 

-         Non t’es trop beau, les filles vont se jeter sur toi. Trop jalouse je suis…

-         La concurrence n’est pas très rude pour toi ce soir…

-         Je t’interdis de porter ça sans moi à ton bras.

-         Oui le blanc c’est très salissant surtout avec les vieux.

-         Tais-toi où je te viole.

-         Dînons, je préfère.


-         Dis-moi, dripping, pouring, c’est quoi la différence ?

-     Pollock détestais qu’on se focalise sur le geste, la technique, car il trouvait cela trop réducteur. Le dripping c’est égoutter de manière aléatoire sur une toile posée à même le sol alors que le pouring coulage à partir d’un pot de peinture percé ou d’un bâton…

-         C’est un peu du n’importe quoi, tu ne trouves pas ?

-         Et pourtant tu t’es extasié devant ses toiles…

-         Oui mais comment peut-il atteindre un tel résultat en se baladant avec un pot de peinture percé au-dessus de sa toile ?

-         C’est ça le génie, le mystère, qu’elle coule, gicle, goutte, se superpose, sa peinture n’est jamais désordonnée. « Damn the chaos ! » proclamait-il. Pollock maîtrisait son geste et rejetait l’accident.

-         Les forces de l’esprit…

-         Oui, en quelque sorte, ce qui est important chez Pollock c’est l’exploration des mythes fondateurs pour les revisiter, en créer de nouveaux avec l’apport d’autres cultures comme celles des Primitifs et des Indiens.

-         Je n’osais pas te le dire, j’avais peur de dire des bêtises, mais c’est cette force brute, primitive,  qui m’a accrochée.

-          Adeline tu touches là au seul mythe qui rend la peinture toujours vivante : celui de la Genèse. Pour Pollock l’œuvre n’a ni début, ni fin, elle est un perpétuel présent. Son choix de toiles grand format, de la surface plusieurs fois parcourue et couverte avec des réseaux de coulure qui fusionnent la couleur et le trait, font  penser à une déambulation. Le peintre et la peinture sortent de la toile, débordent, dépassent les frontières du temps et de l’espace… »


-         Tu ne me quitteras jamais. Promets !

-         Dînons !

-         Tu ne t’en tireras pas à si bon compte.

-         Avant d’exiger des serments attends un peu que je termine de répondre à  ta question : pourquoi me suis-je fait flic ?


J’embrayais sur mon retour en arrière.


Arrivé à St Lazare je trouvais refuge dans un café graisseux où un garçon aux cheveux pelliculeux et aux ongles sales, c'était la journée, me gavait de demi de bières tiédasses. Quand j'eus fini ma lecture j'allai pisser. Les toilettes étaient à la hauteur du standing de l'établissement ce qui ne m'empêcha pas de me poser sur la lunette. J'étais mal à l’aise. Cette espèce de putain de petit bouquin, que je tripotais nerveusement, avait remué en moi des zones d’ombre. Je fuyais, à quoi bon, mieux valait en finir le plus vite possible. Mon regard se posait sur les graffitis obscènes qui maculaient les murs des chiottes. La lie du monde, mon ambition d’y patauger pour oublier était-ce une meilleure voie que le suicide ? J’étais persuadé que oui car je voulais expier je ne sais quelle faute. C'est alors que je découvrais sur la jaquette le nom de l'auteur : Houellebecq. Etrange, il sonnait comme un nom d'abbaye, le Bec-Hellouin. Ce Houellebecq m'avait dérangé. Il m’exaspérait, même si son style atone, minimal, s'élevait parfois jusqu'à se hisser à la hauteur d’Emmanuel Bove. Son Tisserand, son personnage central, venait de réduire en miette mon postulat de la laideur. Houellebecq, que je sentais dans la peau de Tisserand, écrivait que ce type était condamné à la perpétuité des moches qui est de ne pouvoir aimer que des moches lui « dont le problème – le fondement de sa personnalité, en fait – c'est qu'il est très laid. Tellement laid que son aspect rebute les femmes, et qu'il ne réussit pas à coucher avec elles. Il essaie de toutes ses forces, ça ne marche pas. Simplement elles ne veulent pas de lui... » Ce type grotesque, minable, lamentable, n’avait pas l’ombre d’une chance alors que moi qui, avait tout pour réussir, par un masochisme morbide, je me jetais à corps perdu dans une vie sans perspectives.

 

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