Ce matin le ciel de Paris charrie de lourds nuages noirs, le plafond est bas, des saucées d’une pluie lourde s’abattent sans préavis. Hier pourtant ce mois de mai affichait ce qu’un mois de mai sait faire de mieux : un soleil radieux qui me permit de me rendre en fin de journée, à vélo, jusqu’au DiVinamente Italiano d’Inès et de Raffaella où Lucia et Matteo Ceracchi du domaine Piana Dei Castelli nous accueillaient pour une Enogastronomia Laziale sous la baguette du chef Matteo Oggioni. En ce quartier où trône encore le Palais Brongniart : la Bourse de Paris vidée de sa substance par l’économie numérique, en accrochant mon vieux destrier à un poteau je ne pouvais m’empêcher de penser que notre jeune monnaie commune : l’euro, symbole fort de destin commun entre certains pays de l’Union Européenne, de nouveau menacée par le chaos politique en Grèce, était entre les mains, et les clics des traders donnent encore plus de sens à cette expression, d’une cohorte anonyme soucieuse de préserver les fonds de pension et autres gestionnaires de fortune. Bien plus que la météo ce mois de mai accumulait des menaces.
Et puis, en quelques pas, je me suis retrouvé dans une enclave italienne à Paris où, par la magie du partage je ne savais plus si j’étais Italien ou Français, d’ailleurs peu m’importait, ce qui comptait c’est que nous étions la réalité d’une Europe qui ne veut pas ou qui ne peut pas avouer son nom. La Trama, l’un des vins que nous goûtâmes, oui la Trame qui se tisse, assemble, supporte, en était le meilleur symbole. Les frontières elles sont encore dans nos têtes, façonnées par notre Histoire, nos cultures, nos préjugés ou nos idées reçues, la barrière des langues, et elles semblent bien plus difficiles à effacer que celles autrefois gardées par les douaniers. Autour d’une belle table, avec de merveilleux vins, il est facile de refaire le monde, alors pourquoi ne pas en profiter pour y tisser des liens qui nous permettrons, avec nos différences, tout ce que nous sommes, de nous sentir chez nous jusque dans les plus petites parcelles de nos territoires, nos terroirs, à Velletri comme à Paris. La Savoie n’est française que depuis 1860 et c’est comme un trait d’union entre nos deux pays.
Sur cette belle soirée je chroniquerai dès que j’aurai, si je puis dire, mis les mots qu’il faut sur mes émotions. Mais, comme un bonheur n’arrive jamais seul, juste avant d’enfourcher mon vélo j’ai reçu d’Alessandro Merlo un très beau cadeau que je vous transmets comme le gage de la seule Internationale qui vaille celle des amoureux du Bien Vivre ensemble. Merci Alessandro. Et puis, comme mon premier regard sur l’Italie, si lointaine de ma Vendée océanique, fut un regard sportif, je vous livre par la même occasion un petit texte d’Alessandro Barrico tiré de son livre Next.
Jacques,
J’ai pensé à l'accord suivant pour bien commencer le printemps :
- Domaine des Ardoisières Schiste 2009 - Savoie
jacquère, roussanne et pinot gris. un vin très fin, profond et soyeux.
Petit commentaire du taulier : la Savoie, et c’est un vin de l’ami Michel Grisard du domaine des Ardoisières link
- Lotte/fèves/radis
Lotte sautée à l'ail et au romarin avec bouillon de poisson et ses fèves à la vapeur, radis croquants
« Quand j'étais petit (nous parlons de la fin des années 60) il y avait le jour où l'on allait acheter les chaussures de sport (...) En ce temps-là, quand il fallait acheter des chaussures de sport, le choix était pratiquement limité à : Superga beige et Superga bleues. Enfin : dans ma famille c'était comme ça. En réalité, d'autres possibilités, il y en avait, du moins en théorie. Les plus chicos et/ou riches achetaient les mythiques Adidas, trois bandes sur le côté, semelle profilée, renfort devant et derrière. Il y en avait de quatre sortes : je me souviens que j'étais dingue d'un modèle qui s'appelait Rom. Adidas Rom. Ou bien Room ? Je ne sais plus. En tout cas j'en étais dingue. Plus élitistes encore, les Puma : très peu en avaient, et elles étaient regardées avec un grand respect mais aussi avec une pointe de méfiance (elles étaient considérées comme les rivales des Adidas, ce qui ne témoignait pas en leur faveur). Et pour finir, les All Star, mais elles étaient vraiment rarissimes : ce qui nous plaisait c'est qu'il y en avait aussi des rouges, mais en gros elles étaient vues comme des chaussures de blaireau, elles étaient très difficiles à trouver, les seuls pratiquement qui en avaient c'étaient ceux qui jouaient au basket. En dessous de cet Olympe on trouvait les nulles. C'étaient des chaussures avec des noms spirituels genre Tall Star, Luma, Addas. Elles tentaient le coup. Sans aucune pudeur, elles affichaient les bandes mythiques sur le côté : sauf qu'il y en avait quatre, ou deux. Elles ne coûtaient pas cher, et elles se vendaient au marché (...) Il faut rappeler aussi que les chaussures de sport se mettaient quand on allait faire de la gymnastique, et pas à d'autres occasions (pourquoi les abîmer ?).
Je me rappelle que puisque tout le monde avait des Superga, et que dans la salle de gym on était tous là avec les mêmes chaussures comme si on était des Chinois, à part deux ou trois privilégiés avec des Adidas ou des Puma, mais il y en avait peu, les autres c'était tous les mêmes - bref, je me rappelle que certains d'entre nous, les plus originaux, un peu rebelles, ceux qui étaient les plus éveillés, n'arrivaient pas à accepter ça, qu'on soit tous pareils, et alors, pour essayer d'être différents, pour vaincre la monoculture de la chaussure, ils décidaient de se rebeller, et ce qu'ils faisaient, justement, c'était : dessiner quelque chose au stylo-bille sur leurs Superga. Ou peut-être une inscription. Ou des petits cœurs, des fleurs, des choses de ce genre. Dans ce monde-là, pour inventer tes propres chaussures, tout ce que tu pouvais faire c'était dessiner dessus au stylo bille.
Bon. Et maintenant un grand saut dans la machine du temps. Imaginez que vous avez un fils d'une douzaine d'années et que vous l'emmenez acheter des chaussures de sport. Janvier 2002. »