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18 mai 2023 4 18 /05 /mai /2023 12:32

 

En notre beau pays qui se dit la patrie du vin nous proclamons que nous n’aimons que les grands vins et les beaux petits vins de vignerons mais nous nous insurgeons dans le même mouvement sur le peu de cas que nos dirigeants font de l’importance économique du secteur du vin, de son poids dans l’économie du pays, de sa contribution à la balance commerciale : les fameux équivalents Airbus, de son rôle essentiel dans la vitalité de nos territoires… Ce grand écart entre d’une part une poignée de vins, produits de luxe à laquelle il faut ajouter une belle brassée de vins d’artisans, et d’autre part le gros de la troupe qui génère les millions d’hectolitres, semble ne troubler personne.


Sans verser dans la provocation facile, si j’avais du temps, je tenterais de chiffrer en hectolitres mis sur le marché le poids des divers guides français du vin. Le résultat, j’en suis persuadé, permettrait de remettre les pendules à l’heure. Ce constat, qui ne remet pas en cause la validité des guides qui, très normalement font des sélections pour des amateurs, aurait au moins le mérite de bien sérier les problèmes qui se posent à notre secteur et de souligner son hétérogénéité. Passer allègrement au-dessus de nos soucis de volumes pour ne s’intéresser qu’à l’analyse de la valeur générée essentiellement par des produits spécifiques champagne, Cognac et GCC, grands vins de Bourgogne c’est méconnaître la réalité de notre viticulture. Je comprends aisément que les grands amateurs, les grands dégustateurs, les revues spécialisées ne fassent que peu de cas de ces vins volumiques mais de grâce qu’ils ne nous assènent pas leurs raccourcis faciles.


Ces vins que personne ne veut voir ou déguster existent. Ils peuplent les linéaires de la Grande Distribution ou ils alimentent le développement du vrac à l’exportation. C’est la réalité. Que cette réalité chagrine les amoureux du vin je veux bien mais soit face à elle soit nous choisissons de laisser faire par d’autres ces vins : ce qui équivaut à une forme de délocalisation et nous arrachons le vignoble qui leur est dédié ; soit nous assumons leur existence en acceptant de bien clarifier l’origine et la ressource de ces vins. C’est l’alternative claire qu’avait posé le groupe stratégique dans Cap 2010 : les défis du vin français. Je ne vais pas revenir sur ses propositions mais je suis frappé que certains découvrent que l’irruption des vins sans Indication Géographique : Vin de France avec cépage et millésime dans la paysage viticole français risque de mettre à mal beaucoup de vins IGP, anciennement Vin de Pays, et certaines AOP dites génériques. À ne vouloir que défendre des prés carrés, des cotisations syndicales on se tire des balles dans les pieds.


Continuer à cultiver l’ambiguïté est une attitude commode car elle permet d’afficher une forme d’unité de façade mais les faits sont têtus et fuir la réalité ne la change pas. Quand nous avions préconisé la création d’un espace de liberté, non pour céder aux sirènes de la dérèglementation, nous donnions à chacun la possibilité de choisir entre des appellations retrouvant leur socle originel, des vins à Indication Géographique permettant d’élaborer des vins sur la base de règles moins contraignantes, et des vins des cépages de France permettant, sur la base de partenariats production-négoce de générer des marques. Loin de tuer nos belles appellations ou de détruire certains vins de pays de grande zone nous  posions les bases d’une viticulture française en capacité de s’adapter à la nouvelle donne du marché.

 

À ces choix clairs il a été préféré un statu quo préservant de la fiction de notre soi-disant modèle d’une viticulture fondée sur l’exploitation individuelle  agrégée dans des ODG et bien sûr les pompeuses de CVO : les Interprofessions. Belle avancée dont nous mesurons à peine les effets. Alors, pour nous rassurer, nous célébrons nos terroirs, dont le nombre tient d’une liste à la Prévert, mais nous sommes bien incapables pour nos grands lacs de vins AOP de les identifier autrement que par la géographie : c’est du pain béni pour les gnomes de l’OMC et leurs alliés de la Commission. Quant aux cépages internationaux accolés aux grandes IGP, une surtout, fruit de l’histoire de la reconversion d’une grande région, ne seront-ils que des leurres dans le barnum de la mondialisation ? Nos stratèges professionnels n’aiment rien tant que les lignes Maginot et prisent assez peu les emmerdeurs comme le soulignait pompeusement Vitisphère du 31 août 2001 Le rapport Berthomeau sonne la fin de l’été… « Le rapport de J. Berthomeau tombe à pic. A la manière du colonel Charles de Gaulle qui en 1936 suggérait de créer des régiments de chars d’assaut, pour résister aux "panzers divisions allemandes", J. Berthomeau propose le renforcement des entreprises, la création de marques, une politique contractuelle entre les producteurs et les opérateurs commerciaux pour contrer les stratégies de conquête des pays concurrents… » (Sic)


Et oui nous ne sommes pas au pays de Candy ou dans la Petite Maison dans la prairie mais dans un vaste monde où notre belle viticulture d’artisans faiseurs de vins peut s’épanouir mais quid des gros bataillons ? Cachez moi ce vin que je ne saurais voir ! Préconisons comme l’éminent professeur Pitte de le laisser produire dans d’autres pays dit neufs soit par des financiers défiscalisant leurs profits, ou par les va-nu-pieds que l’on paye avec des coups de pieds dans le cul. C’est un choix. C’est un choix qui tourne le dos à notre histoire. C’est un choix que ne font pas nos voisins italiens et espagnols. C’est un choix qui implique que nous abandonnons à d’autres tout un segment du marché du vin, y compris en notre beau pays. Et que l’on ne vienne pas m’opposer l’industrialisation de notre viticulture. C’est inepte quand on sait le poids de la Coopération dans cette part de notre viticulture. Bien sûr pour nos beaux esprits la Coopération n’est qu’une grande trémie dans laquelle se déversent des raisins et que c’est une horreur et que seuls les vins de vignerons sont dignes d’intérêt. Vision entravée par des œillères. Bien sûr, depuis peu de temps ils concèdent à certaines un brevet de bonne conduite mais oublient qu’en soi, pour des vins d’entrée de gamme, la vinification en commun vaut bien le massacre opéré par des producteurs individuels.


Pour autant il ne s’agit pas de tomber dans un productivisme débridé mais au contraire de mieux gérer ce vignoble pour qu’il puisse générer de la valeur conquérir et consolider des parts de marché sur les pays demandeurs. On ne peut vouloir une chose et son contraire, les inflexions liées aux contraintes environnementales, à la gestion de l’eau, à une viticulture de précision, ne sont pas hors de notre portée et une vision d’un vignoble tout bio est aussi suicidaire que celle du tout AOC qui prévaut dans certains vignobles. Dans le domaine agricole, surtout pour une plante pérenne comme la vigne, les inflexions ne sont jamais radicales et brutales, elles s’insinuent lentement dans les mentalités et deviennent des évidences. Entre la publication de mon rapport où je proposais de mettre les questions d’environnement en priorité n°1, sans susciter le moindre intérêt, et la situation actuelle que de chemin parcouru ! D’expérience j’ai toujours constaté que les extrémistes des deux camps opposés s’épaulaient, se confortaient en prenant appui sur les outrances et le refus de reconnaître les avancées.


Les pires ayatollahs sont chez les urbains bien installés dans leur confort, leurs certitudes et souvent dans leurs fonds de commerce et dans les entreprises ou les institutions qui tirent profit du système tel qu’il fonctionne actuellement. Dans mon métier de médiateur j’ai coutume de dire aux plus obstinés ou butés que l’on ne fait la paix qu’avec ses « ennemis » et que ce sont les bons compromis qui font bouger les lignes. Bien sûr il est plus commode de se congratuler dans les petits cercles que de se coltiner cette putain de réalité. Ma ligne de conduite de toujours, au-delà de mes préférences personnelles, de mes inclinaisons, a été de m’adresser à tous, de jamais  me faire le porte-parole de quiconque, mais de tenter de jeter des ponts, de développer des lieux de dialogue. En écrivant cela je ne cherche pas à m’attribuer des satisfécits qui, au stade où je suis de mon parcours ne m’intéressent pas, mais à inciter ceux qui sont en charge de la viticulture à ne pas se cantonner dans les seuls combats syndicaux du type de celui du retour des droits de plantation dans l’OCM communautaire. Sur cette question, ni avant la négociation, ni pendant, ni au moment du vote, le problème a été bien posé et analysé laissant le champ libre à la Commission. Notre incapacité à parler d’une seule voix en ce moment décisif a eu pour conséquence que la France, qui présidait l’UE, a voté  le texte de la Commission.


Oui je sais je vous casse les pieds avec mes plaidoyers récurrents mais quand je lis ce que je lis, j’entends ce que j’entends, j’ai l’outrecuidance de penser que la chose publique ne se traite pas au bout de micros tendus à des soi-disant experts ou à des consultants de ceci ou de cela, mais dans le cambouis du quotidien et dans la capacité des décideurs à mettre en avant des choix qui en sont. Comme le dit souvent Marc Parcé « on ne fait pas du vin avec des mots » et bien pour le pour le débat qui nous intéresse « on ne fait pas des choix en disant tout et son contraire… » soit nous nous replions sur une viticulture réellement artisanale, soit nous revisitons notre viticulture généraliste pour qu’elle garde sa place dans la donne du marché mondial.  

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