Au cours des derniers 15 jours le bombardement fut intensif de la part des sites de vin en ligne : les soldes avant les soldes, silence on brade. Bien évidemment, en première ligne les appellations phares : Champagne et Bordeaux. Le titre de ma chronique n’en est qu’un exemple : Bordeaux a -50%, qui dit mieux ? 6 bouteilles achetées = 6 bouteilles offertes ! De la part du principal vendeur en ligne ça dénote, je pense, à la fois une certaine impuissance face à la mollesse de la demande et un besoin urgent de la part des offreurs d’écouler leurs vins. Certains me rétorqueront que ce ne sont là que des prix d’appel et que le reste de la tarification se tient bien. Faux ! Le phénomène touche aussi les cavistes généralistes, tel Nicolas, où le -20% est la règle sur la plupart des vins. Quand aux grandes marques de Champagne pour la plupart elles dévissent sec. Où que l’on aille la tendance baissière, assumée ou masquée, est bien présente. Pour autant, y-a-t-il une baisse de la demande ? Je n’en suis pas sûr, même si je ne puis disposer d’éléments chiffrés pour étayer mon doute. Alors, pourquoi diable cette spirale baissière ?
Elle résulte, je crois, si l’on exclut l’essentiel du marché qui se situe à moins de 2 euros, via la GD, et les super Prémium et Icônes, et aussi les vins dit « nature », qui eux ne représentent que de tout petits volumes pour l’essentiel exportés ou s’adressant à des clientèles à fort pouvoir d’achat, à ce que j’ai appelé l’effet de « surpâture » c’est-à-dire que dans le ventre mou du marché, le plus touché par les effets baisse du pouvoir d’achat et les ondes de la crise économique, l’essentiel des offreurs de vin se retrouvent confrontés à une exacerbation de la concurrence. Dans cet espace il y a trop de tout, et aussi trop de n’importe quoi, ce qui provoque les effets baissiers constatés dans les enseignes. Cette analyse s’applique aussi au Champagne, où certaines marques, à force de gonfler leurs prix, au nom d’un positionnement ne reposant que sur l’attraction des cimes atteintes par les icônes, sont sorties du marché et, leur volte-face brutale laissera des traces dans l’esprit des consommateurs. Pour les appellations de vin tranquille la foire d’empoigne entre elles, à l’intérieur d’entre elles, sans véritables repères pour le consommateur, ne peut que susciter, amplifier, les phénomènes de surenchère baissière. Face à la rétraction brutale, le chacun pour sa peau, le sauve qui peut, joue les accélérateurs. Sans me poser en « je vous l’avais bien dit » nous touchons malheureusement les « dividendes négatifs » de notre immobilisme, de l’absence de décisions courageuses dans les « appellations volumiques » où, à force de cultiver l’ambigüité de revendiquer une appellation sans en assumer les contraintes, beaucoup de vins mis sur le marché ne sont que des ersatz plus ou moins bien fait. Et, pour enfoncer le clou, mieux vaut un « vin technologique bien fait » qu’un « vin d’appellation qui ne tire que de son nom la place qu’il occupe sur les rayons ».
Le drame dans cette affaire, comme dans les animaux malades de la peste, tous les vignerons sont frappés par la spirale baissière, ceux qui respectent les contraintes des AOC, voire même les bonifient, comme ceux, et il ne s’agit pas de ma part de les stigmatiser, de les condamner ou les vouer aux gémonies, qui considèrent l’AOC comme un droit acquis non susceptible d’une quelconque remise en cause. Tout l’enjeu du débat engagé lors des discussions qui ont précédé la rédaction de Cap 2010 le défi des Vins français, se situait dans une segmentation de notre vignoble tournée vers la demande réelle du ou plus exactement des marchés. Cette approche heurtait de front à la fois la vision élitiste de certains qui réduisent le vin français à ses Grands Vins, et la vision syndicale des AOC ou de certains grands vins de Pays gérés sur le modèle AOC. La segmentation du marché commence dans la vigne, et à force de perdre de vue que le modèle économique des vins artisanaux et celui des vins technologiques ne reposent pas sur les mêmes fondamentaux, nous en sommes arrivés à faire produire sur le modèle AOC, petit rendement, des vins qui doivent être vendus à des prix qui ne permettent pas aux producteurs d’en tirer un revenu satisfaisant et d’investir dans leur vignoble. Je conçois qu’une telle approche déplaise, aussi bien au Professeur Pitte qui pense que ces « vins minables » ne sont pas dignes de notre prestigieux pays et qu’il faut les laisser faire faire par les va-nu-pieds des pays neufs, qu’aux tenants d’une viticulture qui joue de son atomisation pour laisser accroire qu’elle est encore artisanale alors qu’elle ne tient pas son destin entre ses mains (les producteurs laitiers aussi d’ailleurs) mais qui puis-je ? Rien, comme je l’ai écrit le déni de réalité ne change pas la réalité.
Pour autant je ne dresse pas un tableau idyllique de la viticulture de masse, qui existe, qui se délite, qui arrache faute de générer une ressource en mesure de générer des vins capables de satisfaire le grand nombre – oui je sais s’adresser au populo c’est pas facile – mais je pose une question basique à la coopération vinicole française qui contrôle 80% de la production de ces vins : êtes-vous capable de dépasser vos petites querelles de clochers, de présidents, de directeurs de cave pour retrouver votre vocation d’origine : faire du vin qui se vend? C’est dans cette dernière fonction que tout le problème est posé : votre émiettement est mortifère, vos vins sont ceux de toujours et vos modes de mise en marché relèvent, à quelques exceptions intéressantes près, de la préhistoire. Pour vous aussi tout commence dans la vigne et vous vous devez de la conduire pour fournir la bonne ressource à ceux qui sont en capacité de la vendre. J’ai appelé cela, faute de mieux, le pilotage par l’aval. Encore faut-il qu’il y ait des pilotes à l’aval et que ceux qui sont en capacité de vendre le vin pratiquent des partenariats avec ceux qui le font car le vieux modèle fondé sur les rapports de force est périmé, usé comme les manifs et les exactions (ce sujet est d’ailleurs vital pour l’ensemble de l’agriculture française). Fuir ce débat, faute d’interlocuteurs valables, c’est continuer de subir le déclin de notre viticulture de masse et laisser passer des opportunités.
Mais tout cela nous entraîne fort loin des Bordeaux à -50% ou des champagnes à prix en berne me direz-vous ? La réponse est absolument non. Le sujet récurrent de la segmentation de l’offre française, qui nourrit les rapports, les débats d’experts, les discours des chefs, ne peut trouver d’issue concrète s’il continue d’être abordé en fonction d’une approche juridico-administrative liée à la vieille dichotomie : vins d’AOC et Vin de Table. La nouvelle OCM avec ses AOP-IGP et ses vins en IG, que nous le souhaitions ou non, que ça nous dérange ou non, que ça nous plaise ou non, ouvre la voie à deux approches de la viticulture : l’une fondée sur les fondamentaux des AOC avec un modèle artisan commerçant et PME du vin, l’autre basé sur un vignoble dédié à des grands volumes mis en marché par des structures en capacité de générer des marques à vocation mondiales. Opposer les 2 viticultures, les considérer comme incompatibles, relève de postures purement idéologiques qui confortent l’immobilisme. Les solutions idéales n’existent pas et le, du passé faisons table rase, relève de l’illusion. Comme dit l’autre, il faut faire avec, s’ajuster, rebâtir.
Et, pour prouver que le temps fait son oeuvre je me plais à vous citer l'accord signé entre 2 grands chefs de Sud de France : « Mais pour les deux présidents (Jacques Gravegeal et Michel Servage) cette réunion (l’adhésion des Pays d’Oc à la Confédération Nationale des Vins de Pays) est aussi une occasion de « ne pas rater un virage historique », celui du règlement par la segmentation européenne (AOP, IGP, vins sans IG) du problème de segmentation mis en lumière par René Renou lors du début de la réforme des AOC. Pour eux, même si actuellement les IGP représentent environ 11 millions d’hectolitres (dont 5 millions pour les vins de pays d’Oc) en face des 25 millions d’hl d’AOP, « dans les deux ou trois ans qui viennent, les curseurs vont bouger » : si certains vins de pays de petite zone décideront peut-être de passer en AOP, à l’inverse, les grandes AOP risquent d’éprouver du mal à prouver leur lien au terroir et pourront opter pour le passage en IGP. Et au niveau de l’économie des exploitations, les IGP progressant à la fois en France et à l’export, nombreux risquent d’être les viticulteurs qui préféreront produire des IGP de cépage sur des terres pourtant classées en AOP.» Les paroles sont de Cap 2010 et la musique des 2 signataires.
Si vous n'êtes pas encore saturés de la prose berthomesque vous pouvez vous rendre sur le site <http://mtonvin.net> pour lire les réponses à leurs 3 Questions...