Le « Alors heureuse ? » triomphal ou inquiet du mâle assouvi, parfois doublé d'un « alors tu m’as trouvé comment ? », dont le pendant féminin est beaucoup moins fréquent devenu une phrase-culte grâce au talent de Jean-Pierre Marielle dans les « Galettes de Pont-Aven » de Joël Séria en 1975 m'a inspiré le même questionnement en provenance d'un vin bu. Question certes saugrenue puisque par bonheur jamais un vin ne s’est abaissé à me poser cette question, et même les plus putassiers ne se sont jamais risqués à me demander : « alors tu m’as trouvé comment ? » mais, puisqu'il existe de grands amateurs qui savent faire parler le vin, mettre des mots sur le plaisir qu’il leur procure, poser la question :le vin rend-il heureux ? se justifie aisément. Bien évidemment, pour faire plaisir aux aficionados du suivi aval qualité, lorsque j’écris vin je sous-entends, pour faire simple, un bon vin ou estimé tel par celui qui le consomme. Seuls les masochistes peuvent se donner du plaisir en buvant des vins qui fleurent bon la bouze de vache.
Vous allez me dire que la réponse à cette question est évidente : c'est un oui franc et massif. Et pourtant, si je prends la peine de la creuser, un léger doute me saisit. En effet, très souvent, c’est dans les occasions heureuses que s’impose l’ouverture d’une bonne bouteille. Alors, dans ce cas, le vin ne fait que souligner, participer au fait que je sois heureux. Il ne me rend pas heureux puisque je l’étais déjà. Certains vont dire que je ratiocine et que de, toute façon, dans tous les cas de figure le vin, s’il est bon, me donnera du plaisir. J’en conviens et la question « comment tu me trouves ? » pourrait se justifier puisque le plaisir à des degrés.
Cependant, comme je suis un peu chiant ce matin, pour aller au bout du bout de ma recherche j’inverse les facteurs pour poser une question capitale : « lorsque j’ouvre une bouteille parce je suis malheureux ou pas très heureux, est-ce que l’éventuel plaisir que va me procurer le vin me rendra moins malheureux ou même, pourquoi pas, inversera le cours de ma mélancolie, de mon spleen, et me rendra heureux ? » Hormis l’hypothèse où je noierais mon malheur afin de sombrer dans un coma éthylique pour tout oublier, le vin pourra, si je m’en tiens à l’ivresse ouvrir une parenthèse euphorique qui me donnera l’illusion que je suis plus heureux ou un peu moins malheureux. Que conclure ? Livrez-moi vos sensations personnelles, votre expérience, allongez-vous sur mon divan...
Cependant, avant de clore cette introspection, pour certains même votre analyse, reste une dernière piste à explorer celle où, n'étant ni particulièrement heureux, ni particulièrement malheureux, disons dans un état stationnaire, en équilibre, j'ouvre une bouteille. Dans ce cas de neutralité de mes sentiments est-ce que la consommation d’un bon vin va me rendre heureux ? Les hédonistes vont répondre oui, mais est-ce si sûr ? Le plaisir, toujours le plaisir mais, sans gloser sur la fugacité du plaisir, la relation de cause à effet ne me semble pas aller de soi.
Bref, si mes conneries ne vous ont pas trop pris la tête, si je me mets dans la peau de votre vin favori et je vous dit : alors heureuse ? Alors heureux ? que me répondez-vous?
Afin de remercier ceux qui ont eu la patience de me lire jusqu’au bout je leur offre un extrait des Galettes de Pont-Aven. Jean-Pierre Marielle y est grand. Et un bonus pour les fans de JPM.