Un temps de pot-au-feu c’est un temps de cache-nez et de bottes fourrées, de mitaines et de canadienne, vous vous caillez, votre corps réclame du chaud, du consistant, comme si votre estomac voulait se doter d’un blindage pour vous défendre contre la morsure de la froidure.
Comme il fait de nouveau froid, que le thermomètre joue au yoyo, sus sur les bas morceaux du paisible bœuf monté de sa province dépecé en quartiers. Oui, rats des villes carnivores un bœuf ce n’est pas qu’un gros tas de morceaux nobles : l’entrecôte, le faux-filet, le gîte à la noix, la bavette, le rumsteck, l’aiguillette et le tendre de tranche, c’est aussi un ramassis de beaux bas morceaux : le plat de côtes, le paleron, le collier, la macreuse, le jarret, le jumeau, le flanchet et la queue.
La queue nous confie Hugo Desnoyer est par excellence le morceau pour le pot-au-feu, ça rime et vous pouvez, pour vous réchauffer, crier en courant jusque chez Desnoyer « de la queue, de la queue… » Attention au verglas soyez prudents et de toute façon Hugo il est fermé. « Nous sommes quatorze… nous dit Hugo… J’ai une caissière, un livreur. Et il y a Chris (madame Desnoyer). Nous sommes une dizaine de bouchers… »
À propos de la tortore en un temps où les gens préfèrent acheter des plats cuisinés pleins de minerai d’origine indéterminé, les bas-morceaux reprennent du sens. Faire un pot-au-feu c’est plus simple que de faire un œuf au plat et les prix ne sont pas plus élevés que ceux des plats tout préparés de la GD. Ouais, ouais Taulier mais chez ton Desnoyer ce n’est pas donné me rétorquerez-vous.
C’est vrai mais vous n’êtes pas obligé de vous approvisionner chez un boucher de cette notoriété. Mais permettez-moi de mettre un double bémol a votre objection :
- Hugo dit très justement « Les gens ne me parlent plus de prix, mais de qualité. Ils sont de plus en plus sensibles au fait de manger moins mais mieux. Moi le premier, je ne mange pas de la viande tous les jours. »
- Dans le prix y’a quoi ? « Par définition, cette recherche des meilleures bêtes se répercute sur les prix pratiqués en magasin. Mes viandes ne sont pas données. Mais je ne suis pas pour autant le boucher le plus cher de Paris. Et puis, il y a le côté social. Les salaires et les avantages accordés à mes employés pèsent d’un bon poids. La moitié du personnel est logée au frais de la maison dans des studios, sur place, et tous sont nourris. Je les paie vraiment. Quant aux jeunes qui commencent chez moi, ils gagnent d’entrée de jeu 2300 euros nets par mois sur treize mois, et ils ont huit semaines de vacances. S’y ajoutent les pourboires. C’est pour cela qu’ils restent chez moi. Jeune ouvrier, j’ai vécu à Paris dans une pièce où nous dormions à trois. Il n’y avait pas de douche. Un grand nombre de mes employés vient de province. Nous fermons le samedi à 17 heures pour qu’ils puissent rentrer chez eux. »
Vous voyez, quand je veux, je peux être très sérieux mais ça ne dure jamais très longtemps. La preuve : ce qui suis, un texte très leste de Régine Deforges tiré de « Lola et quelques autres » éditions Fayard. Âmes prudes ou sensible, ou les deux à la fois, prière de s’abstenir.
« Lucette s’engouffra prestement par la porte entrouverte qui se referma sur elle.
- Enfin toi !
Des bras vigoureux se refermèrent sur Lucette qui, surprise et endolorie par la brutalité de l’étreinte, poussa un cri.
- Arrête, tu es fou ! … Tu me fais mal !
Victor sans tenir compte des protestations de Lucette, enfonçait sa bouche sentant la viande grillée du déjeuner et le vin dans son cou, puis être ses seins qu’il palpait comme il devait palper un bœuf pour apprécier la qualité de la bête. Un jour, d’ailleurs, voulant complimenter Lucette sur sa beauté et la douceur de sa peau, il lui avait dit au plus fort de leur étreinte amoureuse :
- Ah ! quelle belle viande !...
Au lieu d’agacer Lucette, cela l’avait considérablement excitée. C’est elle qui insistait pour qu’il ne lave pas le sang de ses mains avant de la caresser. Une fois, elle avait failli devenir folle de plaisir quand, pressé par le temps, il l’avait bousculée sur le billot de la boucherie sans même prendre la peine d’écarter la viande sur laquelle il était en train de travailler et, lui relevant la jambe à hauteur des épaules, l’avait besognée avec une force qui faisait trembler la lourde table. Elle avait éprouvé, au contact de cette chair morte d’où montait une odeur fade et à celle vivante, chaude, de l’homme sur laquelle roulaient des gouttes d’une sueur âcre et salée une volupté jamais atteinte. Depuis, quand elle croisait des bouchers, aux vêtements, aux mains et quelquefois au visage poisseux de sang, portant d’énormes quartiers de viande saignante, elle éprouvait un orgasme rapide qui lui laissait les jambes molles. »
La suite demain… Le ragoutant est ci-dessous, c’est de la négrette bien évidemment… de chez Jérémie Mourat…