Lors d’un récent dîner, un expert du vin blanchi sous le harnois, officiant dans une revue de vin de vieille extraction, entreprit ma voisine, pourvue de toutes les références en des domaines qui me sont étrangers, sur le vieillissement prématuré des vins de garde. Nous étions en Bourgogne et c’est un problème qui touche tout particulièrement les vins blancslink. La question embrassait bien plus largement que la seule spécificité des vins blancs, elle se voulait générale : comment se fait-il que dans un lot de bouteilles d’un même vin, même millésime bien sûr, conservées dans les mêmes conditions dans une cave ad hoc, certaines sont frappées par un vieillissement prématuré ?
Comme vous vous en doutez tout cet échange m’est passé très largement au- dessus de la tête et, avec mon esprit de marelle, je ne pouvais m’empêcher de penser à ce qu’Hubert Nyssen disait du vieillissement, en 2008, en fêtant les trente ans de sa maison d'édition, Actes Sud. Il en faisait aussi le diagnostic dans ses carnets, sur son site - www.hubertnyssen.com : « Le vieillissement ne consiste pas dans un lent déclin, mais dans une suite de sauts à l'élastique. On est soudain poussé dans le dos, on plonge, on voit l'abîme d'un peu plus près, on rebondit plusieurs fois, et, avec un peu de chance, on se rétablit, mais jamais au niveau d'où l'on avait sauté. Cependant, à celui où l'on s'arrête, j'en ai fait l'expérience, on peut s'établir pour une période assez longue. » Mais il savait, et le disait sereinement, qu'il y avait un dernier « saut à l'élastique » dont on ne revient pas comme le note Josyane Savigneau du Monde.
L’image du saut à l’élastique me va bien. En effet, au point extrême de la tension de l’élastique, lorsque le corps rebondit, les ressauts successifs se font de plus en plus courts, et l’évidence d’un retour à une forme d’immobilité se fait de plus en plus prégnante. Si l’on approfondit l’image toute la phase de plongée, grisante, vertigineuse c’est la jeunesse triomphante, c’est l’homme pressé, c’est la trajectoire euphorique et puis, soudain, c’est, au point extrême de tension de l’élastique, le premier choc et le premier rebond en retour. Il est d’une forte intensité, la décharge d’adrénaline reste maximale et il est encore vécu comme une forme de plénitude, de puissance, rien ne semble avoir changé sauf qu’à partir de ce premier ressaut toutes les répliques seront d’une intensité plus faible et petit à petit, hormis quelques oscillations, le corps s’installe, suspendu au-dessus du sol, dans une forme étrange de position stationnaire. Reste à noter aussi que plus l’on saute de haut plus l’on augmente sa capacité à rebondir.
Comme l’écrit Nyssen, c’est ce dernier palier, celui où l’on s’arrête, où l’on s’établit qui marque la dernière rupture avec le flux de la vie d’avant. S’enfouir, disparaître, se retirer du monde… Pourquoi diable, il est toujours possible de s’opposer à ce quasi immobilisme, de se redonner du mouvement, de vivre l’attente, en mobilisant sa vitalité intérieure et de se sentir encore vivant. Ce temps de moindre vitalité, de moindre utilité, et parfois malheureusement de moindre mobilité, avec l’allongement de la vie, peut se révéler tout aussi long, voire bien plus long, que celui de la jeunesse et de l’entrée dans l’âge adulte. Alors, si le corps répond encore, que faire de ce temps supplémentaire ? Un temps utile, un temps offert, un temps apaisé, ne plus se précipiter, ignorer tous ceux qui ne sont plus que des figurants transparents. Telle est ma philosophie : j’ai trop gaspillé de temps, trop ferraillé, pour m’encombrer la vie de toutes ces scories pour parler poliment.
Comme me le disait ma mémé Marie : évoquer sa mort n’a jamais fait mourir qui que ce soit. Alors ne me faite pas le coup du coup de boulgour, du vague à l’âme, bien au contraire je ne me suis jamais senti aussi plein de vitalité et, même si certains me trouvent imbuvable, je ne suis pas encore atteint par le syndrome du vieillissement prématuré. À ce propos, pour en revenir aux choses sérieuses, que pensez-vous chers lecteurs du vieillissement prématuré des vins de garde ?