Plus encore que tous les jours, en vacances, vive les petits livres et plus encore vive les petits livres intelligents ! Nos éditeurs en publient de plus en plus et c’est heureux. Comme vous vous en doutez j’en ai fait une abondante moisson pour ces mois où une partie de nos concitoyens va se mettre les pieds en éventail. Le petit livre est leste, il se glisse dans le sac de plage ou le sac à dos, s’en extrait avec facilité, peut se lire facilement sans effort musculaire en position couchée, accepte sans rechigner le page par page entre deux roupillons, en clair je le considère comme le compagnon idéal du bronze cul intelligent.
Rappelez-vous ces énormes best-sellers de l’été exhibés comme des grosses dindes hormonées par des petites dindes anorexiques ou des poules en voie de rotissement qui alternent cul en string et seins nus face au Dieu soleil. Les Apollons des plages ne sont pas en reste dans l’acquisition du ton caramel mais eux se contentent d’ouvrir l’Équipe ou Auto-moto ou un brave polar. La lecture en plein cagnard est un exercice à haut risque car si on la pratique assis le dos au soleil les épaules en prennent pour leur grade et si c’est de face ce sont les genoux et les chevilles qui ramassent les coups de soleil. Lire couché demande un entraînement particulier : sur le dos bras tendus il est à parier que l’on ne tient que le temps d’un paragraphe ; sur le ventre ou sur le flanc peut apparaître plus pratique mais le tenue du livre ouvert et le tourné des pages exigent une grande dextérité.
Vous allez m’objecter que vous n’en avez rien à péter car l’amateur de vin ne saurait s’abaisser à aller se bronzer le cul et le reste sur une plage. Quant aux vignerons et vigneronnes c’est ailleurs, dans leurs vignes, que le soleil (pas beaucoup cette année) leur donne rendez-vous. J’en conviens aisément mais il n’en reste pas moins vrai que beaucoup d’adeptes de la poêle à frire sont aussi des buveurs en puissance : se taper des heures en plein cagnard, même si on fait trempette, ça donne soif. De plus, avec le développement des tablettes le chroniqueur que je suis ne peux négliger cette nouvelle chalandise addict de l’écran qui passe son temps à pianoter, à lire ses mails ou à envoyer à ses copines ou ses copains des tweet sur l’état d’avancement de leur bronzage et bien sûr, grâce à l’IPhone reverso à se shooter pour faire baver les visages pâles restés dans leurs bureaux gris.
La tablette voilà le danger ! Aussi légère et maniable que le petit livre, elle risque de tout uniformiser, de tout lisser, même me faire regretter les gros best-sellers de l’été bodybuildés : que lit-elle, que lit-il ? Nous n’aurons plus face à nous que des lecteurs clonés, identiques, exhibant la même surface plane. Disparu le charme de la couverture, englouti les grands comme les petits, tous soumis à la dictature de l’uniformité. J’exagère me direz-vous, l’important c’est que les gens lisent à la plage ou ailleurs ! Certes, dans le lot il s’en trouvera sans doute quelques-uns pour pratiquer encore la lecture mais imaginez-vous un monde sans livre papier, ce serait une nouvelle ère glaciaire qui laisserait mal augurer de la convivialité qui nous est chère. Et alors, que deviendra le vin face à une population asservie à l’écran qui ne consommera plus que des images et sera persuadée que les relations sociales se limitent à liker sur Facebook et à ironiser sur Twitter.
Suis-je pour autant un réactionnaire ? Moi qui chronique sur la Toile je devrais me réjouir de ce que nos politiques qualifient d’égalité face au numérique. Bien sûr que je m’en réjouis mais je dis à tous ceux qui se lamentent de la disparition des librairies indépendantes, et ils sont nombreux dans le petit monde que je côtoie, si vous souhaitez qu’elles vivent : allez y acheter des livres ! Mais de grâce ne me rétorquez pas qu’au nom de l’instantanéité qui vous est chère il est plus simple que tout passe par le canal de votre écran. Pétitionner c’est bien mais faire c’est beaucoup mieux. Merci d’afficher votre différence, votre engagement en exhibant à la plage un petit livre intelligent ! Le taulier va vous y aider en leur faisant de la réclame : demain Les lois fondamentales de la stupidité humaine de Carlo M.Cipolla au PUF 7€