Cher François Mauss,
En m’invitant à intervenir pour ce 1ier Davos du vin, sur un sujet pas très sexy : les administrations et le vin, tu m’as placé, moi le petit et modeste chroniqueur sur un média bien confidentiel, dans une position fort inconfortable. Rassure-toi, à la Villa d’Este l’accueil et l’organisation étaient dignes de l’évènement. Tu es un formidable catalyseur d’énergie, un hôte prévenant doublé d’un animateur plein d’humour et surtout, en dépit des temps difficiles, tu as su monter cette 1ière édition de ce qui se voulait le Davos du Vin. Le parterre était de haute qualité. Les dégustations impeccables. Les déjeuners et dîners de très haute qualité servis par un personnel précis et courtois. Grâce à toi j’ai pu nouer, pendant ces deux jours, des liens avec une large palette d’interlocuteurs du monde du vin. C’est aussi ça un Davos du vin : apprendre à se connaître, échanger et partager. Bref, l’ambiance était joyeuse et chaleureuse. Nous étions entre amoureux du vin et nous étions bien. (les photos ci-dessus © Armand Borlant)
Alors pourquoi cet inconfort me diras-tu ? Il est celui d’un invité dont l’éducation, le savoir-vivre lui interdit de paraître un tant soit peu discourtois en apportant un bémol à l’immense plaisir qu’il a éprouvé d’en être. Cependant, puisque Michel Bettane a ouvert le bal, si je puis m’exprimer ainsi, par une conférence sur l’éthique des journalistes, je ne pouvais me murer dans un silence poli sur le fond des choses. « Sans la liberté de blâmer il n’est pas d’éloges flatteurs... », en citant Beaumarchais je n’ai nullement l’intention de m’ériger en donneur de leçons, ni me placer dans la situation, cette fois-ci confortable, de celui qui dit vouloir élever les débats. La qualité des séminaires n’est pas en cause, beaucoup furent passionnant et riches de matière. Ce qui me pose problème c’est la finalité visée par ce 1ier Davos du vin. Que visons-nous comme objectif au singulier comme au pluriel ? Est-ce nous conforter, entre nous, dans une chaude amitié, un lieu magique, des bons vins, de belles tables, de discours passionnés à la Angelo Gaja ou forts érudits comme celui du Pr Pitte ou très second degré à la Stéphane Derenoncourt ou très concrets comme celui de nos amis québécois de la SAQ ou en défense d’un petit pays du vin : l’Autriche, que nous sommes le dernier bastion du Bien Vivre au travers de l’excellence de nos terroirs, de nos artisans du vin ? En tant fondateur de l’Amicale du Bien Vivre je ne peux qu’adhérer à ce cérémoniel qui nous fait chaud au cœur, mais...
Dans ma petite et brève intervention matinale, avec un modérateur : madame la députée européenne Morin-Chartier qui a joué parfaitement le jeu – ce qui n’a pas été le cas de certains qui nous ont joué le bal des egos – quitte à paraître un peu grisouilloux, trop les pieds sur terre, je me suis efforcé de dire que si nous voulions être écouté, entendu, encore faudrait-il que nous fassions en sorte que nos discours soient audibles et passent la frontière de notre entre soi. Sinon, certes nous nous faisons plaisir mais nous ratons la cible visée : convaincre les décideurs politiques de la justesse et de la pertinence de nos analyses et de nos propositions. Si nous voulons promouvoir – je préfère la promotion à la pure défense – une approche dites « culturelle » du vin, dans son élaboration et sa consommation, nous nous devons d’appréhender la société telle qu’elle est et non telle que nous rêvons quelle soit. Dans les grands bouleversements mondiaux, les sociétés occidentales deviennent frileuses, peureuses, perméables aux discours médicalisé et prohibitionniste. Pour contrer cette résistible et froide montée des briseurs de Bonheur National Brut, il nous faut conjuguer, et ce n’est pas simple, à la fois la mise en avant de notre merveilleuse civilisation du vin auprès des nouvelles générations et des néo-consommateurs des pays qui découvrent le vin, et la production d’idées, d’intelligence économique, environnementale, sociale de notre grande industrie du vin auprès des décideurs publics à tous les niveaux efficients : nationaux, régionaux tels ceux de l’UE, internationaux tels ceux de l’OMC. J’emploie à dessein « industrie du vin » même si, dans notre Vieux Monde, il est l’agrégat de vignerons artisans et de petites et moyennes entreprises, ce terme est fort en poids médiatique.
La captation des médias, les grands, ceux qui pèsent, ceux qui comptent auprès de l’opinion publique, voilà un enjeu majeur pour un forum mondial sur le vin. Nos gouvernants, le nez sur les sondages, l’auscultent en permanence, la brossent dans le sens du poil, font en sorte qu’elle ait le sentiment qu’on l’écoutât, qu’on l’entende et qu’elle croît pouvoir peser sur l’avenir de la société dans laquelle elle vit, de plus en mal dit-elle – sentiment paradoxal de citoyens-consommateurs qui ne connectent pas toujours leurs choix avec la réalité, celle des autres surtout –. Comment susciter l’intérêt des journalistes de ces grands médias ? Comment faire en sorte que notre culture du vin ne soit pas considérée comme un folklore vieillot pour amateurs bedonnants ou dames permanentées ? Comment montrer que nos vignerons sont tout à la fois des sculpteurs de paysages, des acteurs majeurs de la vie des territoires, des défenseurs d’un environnement respecté, des créateurs de richesse ? Bien sûr, si ça n’avait pas déjà été fait par Greenpeace, avec ses nus dans les vignes de Bourgogne, nous aurions pu nous jeter, sous l’œil des caméras, dans le même appareil, dans les froides eaux du lac de Côme afin de montrer au monde entier la force de notre engagement. Je plaisante, bien sûr, mais si nous voulons passer le mur de l’indifférence il nous faudra créer l’évènement. Quelques pistes en vrac :
- Le Vin mécène : le World Wine Symposium, à chaque cession, lancerait un grand concours d’affiches dédiées au vin et couronnerait celle choisie par un jury de personnalités (mon blog de demain illustrera par un exemple du passé cette proposition)
- Le Vin et les jeunes créateurs du vin : le World Wine Symposium pourrait attribuer des bourses ou des dotations ou donner un coup de pouce à des jeunes pousses pour qu’elles concrétisent un projet innovant...
- Le Vin et les enjeux mondiaux : le World Wine Symposium inviterait le Directeur de l’OMC Pascal Lamy ou le futur commissaire agricole de l’UE à une matinée ou une brochette de Ministres de l’Agriculture ou de la Santé à venir se confronter aux réalités, aux douceurs aussi, de notre belle et grande industrie du vin. Ce temps fort pourrait déboucher sur un Appel des 100 signatures pour le Vin vecteur de Bonheur National Brut ou un Manifeste pour notre juste cause que nous mettrions en ligne sur le Net...
- Le Vin et une grande région invitée à chaque Symposium : je propose que le South of France, le Languedoc-Roussillon pour 2010 (ce serait un clin d’œil à Cap 2010) soit la région phare. Le grand Jojo de Montpellier ne peut qu’être partant pour cette aventure (y’a des élections en vue mais ça n’est pas notre problème).
Les idées ça ne coûte pas cher mais pour les concrétiser il faut mobiliser des moyens et c’est là où je veux de nouveau saluer ton mérite, cher François Mauss, d’avoir su jouer les terrassiers de ce 1ier World Wine Symposium, d’avoir contre vents et marées posé la 1ière pierre d’un édifice qu’il ne nous reste plus qu’à bâtir avec patience et intelligence, fantaisie aussi. Notre belle industrie, en France via les Comités Interprofessionnels, ne manque pas de moyens financiers encore faut-il qu’elle veuille en mettre une infime partie au service d’une cause commune. À tout ceux qui au travers de mon blog me pose la sempiternelle question : Que Faire ? Je réponds, et je répondrai aujourd’hui avec d’autant plus de force : FAIRE ! Faire comme toi, cher François Mauss... Comme le disait mon paysan de pépé Louis : pour tracer un beau sillon bien droit il faut d’abord savoir engager le soc de sa charrue Brabant dans la terre à labourer, puis tenir fermement les mancherons tout en pointant son regard droit devant vers l’autre chaintre. Comme l’écrivait Henri Bergson « J’ai toujours voulu que l’avenir ne soit plus ce qui va arriver mais ce que nous allons faire »
Voilà, cher François Mauss, ma contribution à la 1ière édition de ton « Davos du Vin », elle est de mon cru, avec une légère pointe d'acidité, pas trop de bois pour la langue, et de sucrosité pour les mots, mais je l’espère constructive. Avant d’en terminer avec ce courrier je tiens à remercier chaleureusement toute ton équipe, ton épouse en tête, pour leur disponibilité souriante et leur efficacité. Enfin, je ne sais si tu connais mon goût immodéré pour les petits livres mais celui que le directeur de la Villa d’Este, Jean-Marc Droulers nous a dédicacé, « Lettres à l’inconnu » d’Olivier Barrot et Alain Bouldouyre chez hoëbeke m’a ravi. Pour ceux de mes lecteurs qui aiment, comme moi, les lieux magiques, hors du temps, je reproduis le texte concernant Cernobbio et la Villa d’Este. Pour finir, cher François Mauss, je lève mon verre au succès du prochain World Wine Symposium : Paris comme Rome ne sont pas fait en un jour alors, avec le sens du temps des vignerons, je suis persuadé que ce cru 2010 montera en puissance et en qualité pour tenir les promesses entrevues dans celui que nous venons de vivre.
Bien à toi.
Jacques Berthomeau
Secrétaire-Perpétuel de l’Amicale du Bien Vivre
Cernobbio
A ce point de splendeur, il faut trouver un mot
Qui ne soit pas « hôtel », « palace » ou « résidence ».
La Villa d’Este incarne un absolu des sens.
Dieu sait que l’Italie a le culte du beau.
Les volumes, d’entrée, saisissent le regard.
On reste confondu par l’ampleur des salons,
Des lustres imposants, des marbres de Carrare.
Argent, le lac de Côme occupe l’horizon.
Fontaines et jardins descendent à son bord.
La cloche au campanile a sonné douze coups.
Être seul en ce lieu, il faut bien être fou
Pour arpenter le monde en espérant encore
Qu’une femme inconnue, peut-être imaginée,
Vous attend quelque part, que vous la trouverez.

