Le Taulier lit au lit un gros livre, collection blanche de Gallimard m’sieur dame, 427 pages, du lourd donc : je parle du poids du bouquin bien sûr pas du style qui est bien ciselé, de facture classique, très étudié mais qui laisse filtrer parfois de la sincérité. J’en suis à la page 199, au samedi 9 avril 2011, Rio de Janeiro, car il s’agit d’un journal qui commence le dimanche 14 novembre 2010 à Paris pour se terminer le vendredi 11 mai 2012 à Evreux. Sans doute, lorsque j’aurai terminé ma lecture je me fendrai d’une lettre à celui qui fut mon boss, un intérimaire comme toujours.
Alors pourquoi soudain extraire le paragraphe qui suit, tiré de la page 198, pour le proposer à votre lecture? Tout simplement parce que sitôt l’avoir lu il s’est imposé à moi et, comme mon envie était irrépressible, alors je ne l'ai pas réprimée.« La vraie vie n’est pas réductible à des mots prononcés ou écrits, par personne, jamais. La vraie vie a lieu quand nous sommes seuls, à penser, à ressentir, perdus dans les souvenirs, rêveusement conscients de nous-mêmes, des moments infinitésimaux » (Don DeLillo, Point Oméga) notre homme aux yeux couleur bleu Méditerranée en colère me semblait entrouvrir là l’armure de sa solitude hautaine…loin de la salle Sully...
« Encore deux entretiens à Brasilia. Puis l’avion pour Rio. Nous déjeunons dans un ancien phare aménagé en restaurant, devant cette île grosse comme un caillou où Nicolas où Nicolas Durand de Villegagnon accosta en 1555, pour fonder la France antarctique. Restes de France dans une baie miroitante, dernières traces de grandeur et de rêve, que je contemple tandis que ma voisine, une femme de cinquante ans aux seins gonflés, sur lesquels rebondissent des perles, dévore un homard en plongeant ses ongles vernis dans la carapace. Son compagnon a trente ans à peine, les cheveux gominés plaqués en arrière, le teint cuivré, un diamant piqué dans le nez ; il lui caresse distraitement la cuisse, en laissant son regard de plomb fondu errer sur la baie de Nicolas Durand de Villegagnon, dont il ignore le nom. Des barques agglutinées vacillent sous le soleil. Sur les pics de roche noire qui se dressent au loin, on distingue les entailles des favelas. Deux autres voisins discutent affaires, sanglés dans des costumes à larges raies. Il fait une chaleur si accablante dehors que nous nous retrouvons ruisselants de sueur après trois pas, regardant avec envie depuis la jetée les femmes luisantes, brunes, rieuses et élastiques de jeter dans la mer. »
Nicolas Durand de Villegagnon (1510, Provins - 9 janvier 1571) est un militaire et explorateur français, fondateur de l'éphémère colonie française au Brésil nommée « France Antarctique ».
Jean-Christophe Rufin s’est inspiré de l'expédition de Villegagnon au Brésil pour son roman Rouge Brésil, prix Goncourt 2001
Le titre de ma chronique est une citation tirée de la bouche d’une voisine de table de l’auteur du livre à Ézy-sur-Eure le samedi 2 avril 2011. « sa chevelure rousse dévalant en cascade sur ses épaules nues. » Saurez-vous deviner le nom de l'auteur des lignes ci-dessus ? Forte récompense à qui trouvera !