Comme vous le savez je n’ai que peu de goût pour la technique mais beaucoup en revanche pour les sujets qui peuvent faire débat. Nous sommes, depuis le buzz européen « touche pas à mon rosé » à propos du projet de l’extension du mélange rouge-blanc aux autres vins qu’AOC link, inondé de rosés link. Je fuis donc mais pour autant je ne mets pas tous les vignerons dans le même panier et lorsque je dégotte un vrai rosé je m’empresse de m’informer sur ce qui le différencie de ces jus fabriqués. C’est ce que j’ai fait auprès de Philippe Pouchin, voici sa réponse. Qu’il en soit remercié.
Bonjour Jacques
Marie-Lyne me dit que tu es en attente d’info sur notre gamme de rosé Temple.
Je vais essayer d'être le plus synthétique possible sur ce sujet que je suis depuis un moment.
D'abord préciser d'où je parle. J'ai démarré ma « carrière » au début des années 80, au moment où l'on commençait dans certaines propriétés du Var à « débourber »* les rosés, par ruissellement, les premiers groupes de froid n'avaient pas encore fait leur apparition. Dans les coopératives, point de tout cela, le rosé était vinifié un peu comme ça vient, avec des méthodes que plus personne aujourd'hui ne saurait plus mettre en œuvre (4par4 ...) qui a dit « heureusement » ?
Toujours est-il que, dans les années 80 avec l'apparition simultanée de l'inox italien moins cher, des groupes de froid (subventionnés : refroidissez, refroidissez disait-on alors aux caves qui ne savaient pas se servir de ces outils, il en restera toujours quelque chose) et des œnologues frais émoulus des z'écoles (deux ans seulement après le bac à l'époque) le rosé entame doucement son évolution vers ce qu'il est devenu aujourd'hui.
Seulement voilà, les techniciens se sont pris au jeu, les fabricants de levure et d'adjuvant aussi, le rosé est devenu : un empilement de technique. Dans les colloques, avec un air profond, les praticiens disent : « c'est un vin technique »
Il y a quelques temps un ami journaliste me demande :
« Philippe c'est quoi pour toi un grand rosé ? »
D'abord je me dis qu'on ne poserait pas cette question pour du blanc ou du rouge, mais bon ...
« Et bien je vois deux réponses, que je lui fait, d'un côté, les rosés actuels, qui sont des empilements de techniques, à tel point que nous recevons tous les ans au mois de juin, de la pub pour des levures encore plus aromatiques que celles de l'an passé, qui étaient-elles même plus aromatiques que celles de l'année précédente » à ce jeu-là nous avons aujourd'hui des rosés à peu près tous semblables, mais pire, tous délocalisables pour peu qu'une région du monde s'y mette et y engage des moyens. J'ai même vu apparaître le mot biotechnologie (voir pub jointe, ça fait froid dans le dos) link
D'un autre côté, il me semble possible d'explorer une autre voie, celle du dépouillement. Ne garder du process (brrr … quel mot) que ce qui est indispensable : date de vendange, raisins bien murs, vendange manuelle, débourbage à froid etc. …
Je vinifie ainsi depuis 1996, mais en 2008, pendant la réforme des AOC, je me suis dit que, si les AOP étaient stricts (on peut toujours rêver : aucun intrants issu de l'extérieur de l'appellation) la plupart des vins rosés deviendraient ipso facto des IGP. Serait-il possible alors de vinifier encore cette couleur ? Le Temple rosé actuel est né de cette réflexion.
Qu'il rentre aujourd'hui dans la sélection de la Rvf est plutôt une victoire pour nous.link et link
Maintenant, en élargissant le champ de la réflexion, le constat est le suivant. Toutes les régions françaises élaborent des vins rosés, à une question que j'ai posée plusieurs fois à des professionnels :
« Sur quoi est basé la hiérarchie des vins rosés ? » la réponse, après un silence gêné, est le plus souvent … le prix ! Plouf !
Que la profession soit incapable, alors que tous les tableaux de bord sont au vert de laisser la notoriété se construire au fil de l'eau me paraît extrêmement dangereux. Que se passerait-il si, après une grosse récolte, les cours s'effondraient ? Alors que les seuls Languedoc élaborent à nos portes des flots de rosé en IGP avec une marque forte (Pays d'Oc) et des prix 20à 30 % moins élevés que les nôtres, si le seul prix constitue la pyramide de la notoriété …
Mais les choses bougent. Le concours des vins de Saint-Tropez vient d'ouvrir une catégorie « vin de garde »
F Millo déclare au Figaro que : « C'est justement là où les rosés de garde présentent aussi un véritable intérêt ». Comme le souligne pertinemment François Millo : « en envisageant le rosé comme un rouge ou un blanc, pouvant être dégusté jeune ou bien après quelques années, cela permet de diversifier la consommation du rosé et donc de la pérenniser ».link et link
Ça fait des années que je le dis, mais sûrement moins fort ! Quant au Centre du Rosé, s'il travaille sur les rosés de garde, c'est avec une grande discrétion …
Voilà présenté le contexte. Je n'ai pas trop parlé des vins, mais je te fais passer le texte que j'ai écrit dans le livre le vin rosé et qui donne tous les détails de l'élaboration de ces cuvées.link
La seule question qui compte pour moi est la suivante : Quand on approche son nez d'un verre de vin la seule question qui vaille est la suivante : « ce que je sens, d'où ça vient ? » si la réponse est « du raisin » alors on se trouve dans un univers d'AOP, si la réponse est : « un peu du raisin, un peu des levures, un peu des enzymes, un peu des collages un peu … » alors on est où ?
Bon courage et amitiés
Philippe Pouchin
*débourbage : première décantation du jus de raisin