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1 septembre 2007 6 01 /09 /septembre /2007 00:07

La première partie de la soirée consista en un tour de chauffe maîtrisé. La modération apéritive y fut impressionnante. Marcelline, la moitiée du patron du bar de la Marine, trimballait son quintal ensaché dans une robe noire de crêpe georgette au décolleté profond, avec la grâce d'une dinde de Noël et alimentait les tablées en cochonailles. On mangeait au couteau. Jean, qui me faisait face, disert, glosait sur la chape de plomb jetée par le pouvoir sur l'ORTF; un sujet qui, comme vous vous en doutez, passionnait nos interlocuteurs. Comme eux, je me contentais de manger, laissant le marchand de vermoulu soliloquer. Tout ce cinéma n'était qu'une mise en bouche concoctée par l'esprit fertile de Jean. Dans l'instant, même si ça me paraissait un peu surréaliste, je ne percevais pas le côté factice de cet arrière-fond. L'apparition des langoustes et des bars grillés, juste après les platées d'huîtres et de palourdes, me mettait la puce à l'oreille. On me conditionnait comme une viande nerveuse passée à l'attendrisseur. Le vieux Turbé, l'air de rien, m'observait. Jean, enfin silencieux, s'acharnait sur le fourneau de sa pipe. Lorsque Taraud, le patron, commençait de poser sur les tables des bouteilles de vin bouché étiquetées Meursault, nous atteignions la cote d'alerte. L'arrivée d'un tel nectar, importé d'une contrée aussi lointaine qu'inconnue pour ces marins que Terre-Neuve pour nous, représentait le summum du luxe en ce lieu dédié à la chopine de blanc sec d'origine indéterminée. Alors, fataliste, je me préparais au choc à venir.

Les gars y allaient de bon coeur car, aussi bizarre que ça puisse vous paraître, le bar et la langouste, même pour les fêtes, figuraient rarement au menu ; comme le rôti de boeuf ou le gigot pour les paysans, ces mets c'étaient beaucoup de sous. Ce grand pervers de Jean leur offrait une belle tranche de débauche. Impression confirmée lorsque je le vis se lever pour faire un commentaire de dégustation sur le Meursault. Mes bois sans soif l'écoutaient, dans un silence religieux, avec la même stupéfaction dans les yeux que Bernadette face à l'apparition de Massabiel. Jean, si je puis dire, buvait du petit lait. Pour compléter ce tableau digne d'un maître flamand, à notre table, nous mangions dans le service à poissons de Marcelline, celui de son mariage, avec les couverts en métal argenté de sa ménagère et, suprême luxe, nous étions dotés de serviettes Linvosges. Suite à la démonstration de Jean toute la salle claquait de la langue et se gargarisait avec le nectar de Bourgogne. Les plus audacieux se risquaient à lui trouver de la cuisse. Annette, la serveuse, devait zigzaguer pour éviter les mains lestes. En regardant Jean je lui trouvais des airs du divin marquis. Il tangentait l'extase. Le lendemain, comme pour s'excuser, il me confiait " comprends-moi, ces types ne se lachent jamais. Coincés, entre leurs bonnes femmes et le curé, ils se réfugient dans le bourrage de gueule. Grâce à toi je leur offert ce que jamais ils ne pouvaient espérer, même en rêve, un vrai festin, du vrai bonheur..."

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