Cette chronique reprend des extraits d'un papier de Yann Moix dans Voici ( j'ai déchiré la page dans la salle d'attente de mon dentiste, pardon Christian d'avoir privé tes patients d'une lecture roborative...)
" A l'âge où Einstein développait sa théorie de la relativité restreinte, où Stendhal terminait le Rouge et le Noir et où Mozart agonisait, Benjamin annonce, lui, fièrement, que dans le prochain Loft, il y aura "sûrement" une piscine. C'est une des vertus du castaldisme ça : l'adolescence infiniment prolongée [...]
Le "benjamin", dans une famille, est traditionnellement le plus jeune. C'est un très bon départ pour être aussi plus immature. Les historiettes avec Flavie, les gamineries lofteuses, cher Benjamin (et pour reprendre un vocable d'incontinence orgasmique adolescente) : on s'en branle. Les fiches préparées, façon ENA, pour annoncer qu'une pétasse blonde va se faire féconder dans le chlore d'une piscine, l'oreillette branchée, façon NASA, pour prévenir qu'un blondinet beauf en rut va sortir du Loft si on compose le "36 quelque chose", toute cette gravité factice posée sur du néant, cette morgue scolaire greffée sur du perlimpinpin vulgos, je te le dis, ô Benjamin : ça fout le cafard.
Car il faut bien que quelqu'un écrive ce qui suit : la télé ce n'est rien. Et les animateurs télé, ça ne peut animer que du rien. Faire bouger du rien, donner vie à du rien, donner de l'importance à du rien, ce n'est pas à la portée de tout le monde : il faut être spécialiste du rien. Un docteur du vide. Un diplomé du creux. Je connais des gens qui, avec un rien, parviennent à faire un tas de choses. Benjamin, lui, avec un tas de rien, parvient à une seule chose : cette seule chose s'appelle sa "carrière". La poule qui pond son oeuf prétend-elle faire une "carrière" de poule ? Non. "
Yann Moix