J'ai deux grands boeufs dans mon étable,
Deux grands boeufs blancs marqués de roux ;
La charrue est en bois d'érable,
L'aiguillon, en branche de houx [...]
S'il me fallait les vendre,
J'aimerais mieux me pendre,
J'aime Jeanne, ma femme :
Eh ! bien j'aimerais mieux
La voir mourir que de voir mourir mes boeufs...
C'était le tube pour noces et banquets du pépé Louis doté d'un bel organe et qui portait beau avec sa moustache à la Foch. L'homme avait des idées très arrêtées, entre autres que le tracteur ne remplacerait jamais ses boeufs charolais sur la base d'un raisonnement qui se tenait : ils coûtaient pas cher à entretenir et quand on les remplaçait ils valaient des sous, eux. Quand il entonnait le couplet, je suis persuadé qu'il vivait les paroles. La mémé Marie, femme de devoir, n'en prenait pas ombrage. C'est à lui que je dois ma courte carrière de toucheur de boeufs enjougués. Ce n'est pas aussi simple que ça en à l'air : muni de son aiguillon sur l'épaule il faut tout d'abord appeler les bêtes dans le bon ordre : Jaunet-Blandin, tout en touchant (piquer le cul avec le bout de l'aiguillon qui est muni d'une petite pointe d'acier) le boeuf qui va impulser la bonne direction, soit celui de droite quand on veut virer à gauche par exemple. Fallait pas être pressé. Nous allions avec le tombereau ramasser les betteraves et les choux. Les grandes roues du tombereau creusaient dans la glaise des chemins creux et des cheintres de profondes empreintes. Pour le labour, j'ai un vague souvenir de la charrue Brabant à manchons. Fallait tirer droit, mais c'est mon frère aîné Alain qui prenait les engueulades. Le jour où on a vendu la dernière paire de boeufs à Mougard, le maquignon avec sa blouse noire et son gros portefeuille bourré de billets, le pépé Louis a pleuré.
Pourquoi évoquer Louis Berthomeau ce matin ? Tout bêtement parce que cet homme a consacré sa vie au devoir : 3 années sous les drapeaux - seul loisir : transcrire de sa belle écriture les chansons qu'il allait écouter dans les cabarets - puis 4 années de guerre dans les tranchées pour la France. Une belle jeunesse ! Puis, toute sa vie ce fut le travail, sauf le dimanche bien sûr. Quand y'en avait pas de productif, il s'en trouvait : par exemple, faire du bois et entrenir les haies l'hiver, ce qui nous valait des barges de fagots de bois pour chauffer la moitié de la commune. L'entretien du paysage c'était gratos en ce temps-là, comme le reste : chemins, talus, curage des fossés... Alors j'ai un peu d'urticaire lorsque j'entends les candidats en costume cravate se gargariser avec le travaillez plus. De quel travail s'agit-il ? Tout est là. C'est celui des autres. Souvent celui qu'on ne veut pas faire. Celui qu'on a confié aux émigrés de l'intérieur, puis à ceux de l'extérieur. Comme je l'ai déjà écrit, je n'ai jamais entendu dans mon entourage un père dire à son fils : tu seras éboueur ou posté chez Citroën mon fils ou une mère : tu seras caissière de supermarché ou découpeuse de dinde ma fille ! Ou l'inverse, ça n'a pas d'importance.
VGE, qui avait le sens de l'anticipation, mais qui se plantait souvent sur les hommes, avait créé un secrétariat d'Etat à la revalorisation du travail manuel, confié à Lionel Stoleru, plus techo tu meurs ! Bon je sais que j'irrite mais, dans un pays riche comme le nôtre, la piste la plus efficace pour redonner des couleurs à notre économie c'est de cultiver l'intelligence, de faire de la valeur sur nos cerveaux, de proclamer et de mettre le cap sur la recherche. Barre toute ! Alors, à la partie gauche je me permets humblement de dire : ça ne serait pas mal si vous cessiez de vouloir mettre tout le monde sous la même toise ; à celle de droite, avec la même humilité, je dis : vous n'avez pas le monopole de la compétence économique ; quand au centre qu'a toujours été mollason et qui a penché toujours du même côté, pour une fois depuis un sacré bail, j'ai envie de lui dire : chiche ! mais faudra au bout du bout gouverner avec l'un des deux blocs. Moi qu'est toujours été engagé je me sens aujourd'hui très dégagé, ce doit l'âge sans doute... Le Rocard à encore dégainé plus vite que son ombre, sacré Michel il ne changera jamais...