Le jardin des Brejoux entourait leur pavillon et, sur l'un des pignons, une treille, jouxtant une petite véranda, formait une voute végétale très méditerranéenne. J'écris cela, mais à l'époque, comme le Sud restait pour moi une terre inconnue, cette enclave me parut à l'image du couple Brejoux : exotique. Nous nous installâmes dans des fauteuils de rotin pendant que Sylvie Brejoux assurait le service, pastis, olives et bretzels, glaçons, en ondulant des hanches. Je feignais de l'ignorer car je sentais le regard de Brejoux posé sur moi. Le mari ou le flic, je frisais la capilotade. Mais pourquoi diable avait-il tant insisté pour que je vienne dîner chez lui ? Sans vouloir médire sur les capacités de compréhension de sa jeune épouse je ne la sentais pas vraiment portée sur la thérapie des coeurs meurtris. La suite des évènements confirma mes doutes, Sylvie Brejoux n'ouvrit quasiment pas la bouche de tout le repas, se contentant de nous écouter échanger sur mon avenir avec attention et intérêt. Alors pourquoi ? L'ombre d'un doute m'effleurait lorsque mes yeux s'égaraient dans le décolleté de madame. Toutes les hypothèses, où mon imagination l'érigeait en consolatrice d'un affligé, se heurtaient à la bonne bouille de Brejoux. Ce brave type ne pouvait pas avoir combiné un truc aussi tordu. Nous en étions au café, ma conversation souffrait de nombreux blancs, j'étais à l'ouest, perdu, et j'entendais Brejoux me dire qu'il allait faire un saut jusqu'au bar-tabac du centre pour se fournir en cigarettes.
Pendant une longue minute, tassé sur ma chaise, je restai silencieux. Sylvie Brejoux jouait avec son alliance tout en croisant et décroisant ses belles jambes. L'air me manquait. Je ne pouvais croire à un guet-apens. Qu'importe ! Un peu de révolte sauvage montait en moi et je pensais, qu'après tout, céder aux charmes de Sylvie Brejoux, si tel était le plan de son flic de mari, aurait un goût de transgression. Phantasme masculin par excellence : donner sa femme à un autre, la mater, la voir prendre du plaisir sous les cuisses d'un jeune mec, quoi de plus excitant ! Lisait-elle dans mes pensées alors que je levais enfin les yeux, elle me disait " Venez, je vais mettre de la musique... " Sa main se tendait. Je la prenais. Elle me tirait vers le salon. Mon corps se dénouait. Elle s'accroupissait pour choisir un disque dans un meuble bas. Dans l'entrebaillement de son short, la vue plongeante sur la raie de ses fesses blanches, m'ôtait mes dernières inhibitions. Elle déposait avec précaution la galette d'un 33 tours " When a man loves woman " de Percy Sledge sur le tourne-disques et se relevait en balançant ses tongs devant elle. " Allez éteindre ! " Je m'exécutais. Elle m'attirait à elle. Je lui prenais la taille " Dansons ça te fera du bien ! " L'irruption du tu me semblait la dernière marche. Ce slow étalon du torride des années 60 se prêtait à merveille à l'exercice. Sylvie Brejoux dansait bien, sans se tortiller, lovée, féline, son pubis frôlait mon sexe et je sentais le poids de ses seins peser sur ma poitrine. A mon grand étonnement, son parfum lourd, mes mains sur ses hanches nues, son souffle dans mon cou, loin de m'exciter, me projetait dans un étrange no'mans land. Je me sentais spectateur.