Les Brejoux habitaient un pavillon à Saint-Herblain, la proche banlieue de Nantes. Je m'y rendais en bus. A cette heure-ci, le flot des banlieusards étant absorbé, je pus m'asseoir tout au fond. Les passagers affichaient l'air triste et renfrogné de tous les usagers des transports publics. Certains lisaient des bouquins usés avec une attention qui me parut relever de l'enfermement. Un gosse couinait sur les genoux de sa mère. Je surveillais le défilement des arrêts. A un feu tricolore la vue de l'échoppe d'un fleuriste me tirait " un merde, je vais arriver les mains vides..." qui arrachait un demi sourire à la femme sans âge qui me faisait face. Notre échange fut bref mais elle m'indiquait l'adresse d'un marchand de fleurs tout près de chez les Brejoux. Je la saluais avant de descendre. Sur son visage de pomme frippée, enveloppée dans un foulard miteux, je crus discerner une légère lueur de plaisir ; le plaisir d'exister pour quelqu'un. Muni des explications de Brejoux je faillis pourtant me perdre dans le lacis des petites rues bordées de bicoques tristes et moches. Toute une vie dans cette promiscuité morne ce devait être un vrai tue l'amour. Avec Marie nous n'aurions jamais accepté une telle relégation. Merde ! T'arrêtes ! Cesse de te raccrocher à elle ! Qu'aurions-nous fait d'ailleurs ? A postériori, au vu des trajectoires des July, Glucksmann, Chabalier, Debray, Kouchner, les deux Miller, Rolin, Weber et consorts, des bourgeois de gauche installés, inscrivant leur progéniture à l'Ecole Alsacienne, pétitionnant, lisant le Nouvel Obs ou Libé, résidence secondaire en Normandie ou le Luberon, votant PS ou Verts, des bien lotis quoi !
Le jardin des Brejoux, tout fouillis, nature, tranchait sur le mode rigide de ses voisins, tirés au cordeau, allées bétonnées et horreurs ordinaires : moulins miniatures, nains, ou pire, copies de statues antiques. Je sonnai au portillon. Brejoux vint m'ouvrir vêtu d'un pantalon de toile bleu délavé, d'une chemisette blanche à col ouvert. Il portait des sandales de moine. Mon bouquet de roses rouges à bout de bras j'avais tout de l'empoté de service. C'était tout ce que j'avais trouvé de potable. Bien sûr, des roses rouges pour madame Brejoux, ce n'était pas vraiment le top de la bienséance. Brejoux me précédait. Provenant de la fenêtre grande ouverte, de ce qui devait être le salon, à mon grand étonnement j'entendais du Led Zeppelin. Brejoux, pressentant mon trouble, se tournait vers moi. Sa remarque me laissait pantois " Sylvie adore. C'est de votre âge..." Ce votre me clouait. La vue de Sylvie Brejoux qui s'encadrait dans la porte d'entrée me crucifiait. Dans ma tête je calculais : Brejoux frisait la cinquantaine et elle affichait à peine trente ans. En tongs, short flottant et débardeur Marcel, madame Brejoux, une grande bringue, fluette mais dotée d'une opulente poitrine, me tendait une main osseuse aux ongles faits. Elle n'était ni belle, ni moche, son visage anguleux, sans une trace de maquillage, alternait des mimiques enfantines et des plis durs. Je lui tendais mon bouquet. Elle me remerciait avec chaleur. Sa voix rauque, son regard froid, ses grands anneaux de Gitane, ses longs compas bronzés et sa blondeur oxygénée lui donnaient des allures de femme fatale un peu vulgaire.
Pour mon roman je reprends le rythme de deux épisodes pour le week-end, c'est plus raisonnable pour tout le monde... Pour ceux qui débarquent sachez simplement qu'il s'agit du chapitre 2 d'une drôle d'histoire écrite en direct depuis le début octobre 2006. Les numéros d'opus devraient vous permettre de vous y retrouver... Bonne lecture !