Dans mon pays, la belotte était l'apanage des gars du bourg, l'aluette un jeu de paysans. Comme la Mothe-Achard était un gros bourg de commerçants, et comme un commerçant c'est quelqu'un qui veut être bien avec tout le monde, les concours de cartes organisés pour remplir les caisses des pompiers, des anciens d'AFN ou de la Vaillante Mothaise, étaient toujours mixtes. Ma génération considérait le bistro et les jeux de cartes comme des trucs de vieux. Nous préférions courir les filles. Quand nous nous alignions dans les concours, officiellement pour nous fendre la gueule, c'était l'aluette que nous choisissions. Pour deux raisons, d'abord parce que nous y retrouvions les figures les plus emblématiques du pays - des tronches en général affublés de sobriquets savoureux : Bite au dos, Lucien dit le Caïphe, Morisset dit Cécette, Romain dit Maës... -ensuite, parce qu'à l'aluette on joue à la parlante (voir § 3)et qu'on se fait des signes. Y'avait donc une ambiance pagnolesque, l'accent en moins. Du côté jaja, on barbottait dans l'infâme et le toxique.
Vous allez me dire, l'aluette ce n'est qu'un jeu de cartes parmi d'autres. Détrompez-vous, les 48 cartes de luette sont héritées des Maures et leur symbolique est très intéressante.
Elles sont divisées en 4 séries de 12 cartes :
- les bâtons ou massues représentant les paysans
- les deniers (pièces de monnaie) représentant les marchands
- les épées représentant les nobles
- les coupes ou calices représentant les prêtres.
(chaque série comprend as, roi, cavalière,valet, pas de 10 et la bigaille 9,8,7,6,5,4,3 à l'exception des cartes d'aluette et de double)
Les cartes d'aluette:
le 3 de "denier" dit Monsieur
le 3 de "coupe" dit La grande Dame
le 2 de "denier" dit Le Borgne
le 2 de "coupe" dit La Vache
Les cartes de double :
le 9 de "coupe" dit le Grand neuf
le 9 de "denier" dit le petit neuf
le 2 de "bâton" dit deux de chêne ou la balançoire
le 2 d' "épée" dit le deux d'écrit
le 5 de denier dit Bise-dur est très populaire bien qu'il n'ait aucune valeur particulière.
Cette énumération, en dehors des noms, montre la hiérarchie sociale des inventeurs du jeu : les marchands ont 3 cartes maîtresses, dont la plus importante ; les prêtres aussi, mais ils n'ont que la seconde carte maîtresse, les paysans et les nobles doivent se contenter d'une carte en 7 et 8 ème position. Pour la règle allez sur le net si ça vous intéresse.
Moi ce matin c'est de vous offrir une petite tranche sonore de ce jeu de bandits www.arteradio.com/son.html?2163 Cliquez sur ce lien et écoutez bien, ça ne dure que 2mn15 et vous entendrez aussi des petits chocs qui vous réjouiront le coeur. Dans ce jeu, ce qui compte c'est la bande sonore liée au fait que si la partie se joue par couple, l'un des deux partenaires, celui qui estime avoir la meilleure donne, commande le jeu. Pendant qu'on s'échange des signes, fusent des "oui j'y suis mais au dessus de la dessus" et "deux fois en dessous de la dessous", ça y va sec, et quand la partie commence ce sont des : viens à moi tout petit, file tes belles, fait pourri (couvrir avec une carte de même valeur pour qu'il n'y ai pas de plis)... Cette dernière stratégie, en général, prépare le plus beau coup du jeu "faire mordienne" c'est-à-dire gagner en remportant les dernières levées sans avoir amassé de plis auparavent et sans qu'un des derniers plis ait été pourri. On l'annonce à son partenaire en se mordant les lèvres. On empoche deux points.
Si je vous parle de ce jeu de bandits venu comme il l'est dit dans la bande sonore, par la mer, le port de la Chaume aux Sables d'Olonne, des mauresques, c'est pour rappeler à certains en Vendée même, le Vicomte pour être précis, pronant la fermeture de nos frontières, le repli sur soi, que nous sommes des gens de sangs mêlés, des métèques et que, pour ma part, j'en suis fier car j'en suis.