" La jeunesse est impatiente et sévère dans ses jugements, problablement plus en France qu'ailleurs, certainement aujourd'hui plus qu'avant. Ce n'est pas moi qui vous en blâmerai, vous les jeunes, car vous avez de fortes raisons d'être inquiets, d'être critiques. Je n'ignore pas ces raisons. Mais je sais aussi qu'il dépend de vous que votre critique demeure vaine et votre impatience stérile, ou qu'elles soient, l'une et l'autre, et dès maintenant, des ferments d'énergie ou d'action.
On dit souvent, selon une formule un peu banale, mais vraie, que vous êtes le sang nouveau qui peut revivifier la nation. Si, demain, les responsabilités doivent vous incomber, il n'est pas trop tôt pour en assumer d'ores et déjà une part, et plus importante que vous ne croyez - mais il faut le faire très vite. Sinon, un jour, vous trouverez écrasante la charge des hypothèques que vous aurez laissé accumuler sur vous.
Cela arriverait immanquablement, si vous permettiez que se gaspille et se perde la force vive dont vous disposez, si, prenant prétexte de ce que l'Etat vous ignore ou vous néglige souvent, vous vous détourniez de la chose publique, si vous vous désintéressiez de la conduite des affaires de ce pays, c'est-à-dire du foyer où vous passerez votre vie entière, et où vous serez demain heureux ou malheureux. Aussi, vous ne pouvez pas vous borner à répéter : " A quoi bon ? " Vous devez vous employer dès maintenant à faire changer ce qui doit être changé.
Vos problèmes s'identifient évidemment avec ceux d'une nation qui a le souci de son avenir. C'est dans ce sens qu'on a pu dire qu'il n'y a pas de question qui soit particulière à la jeunesse, mais il est tout aussi exact de dire que la gravité d'une question de mesure à la façon dont elle affecte la jeunesse.
Certes, les jeunes ne sont pas les seuls à avoir besoin de se loger. Mais le cas des jeunes ménages qui ne trouvent pas de toit, ou des étudiants qui n'ont pas de chambre le soir, pour travailler, n'est-il pas le plus dramatique ?
Certes, le plein emploi et la paix sont des bienfaits indispensables à tous les citoyens et de tous les âges, mais comment ne pas voir que la guerre met en cause pour un jeune tout son destin, et le chômage tout son espoir. Comment ne pas observer que ces calamités, qui peuvent ébrancher ou même abattre des arbres adultes, sont pour de jeunes arbustes un arrachement par la racine plus bouleversant, plus tragique, et surtout plus irréparable ? (...)
L'efficacité du régime républicain, du régime de liberté, ses chances de survie et de prospérité dépendent donc des liens qu'il saura créer entre la jeunesse et lui. Si notre République ne sait pas capter, canaliser, absorber les ambitions et les espoirs de la jeunesse, elle péréclitera, elle perdra de plus en plus son sens et sa justification, elle se dissoudra ; mais si elle sait s'y adapter, si elle est capable de comprendre l'espérance des filles et des garçons de France, d'épouser cette espérance, de la servir dans chacune de ses décisions, alors elle n'aura rien à craindre des aventuriers, des démagogues, des extrémistes, car elle sera toujours plus forte et plus vivante, portée par sa jeunesse, ardemmment défendue, et chaque jour renouvelée par elle.
Malheureusement, il faut le reconnaître, les démocraties, lorsqu'elles sont faibles, lorsqu'elles perdent leur sens profond et véritable, inclinent parfois à ne considérer que l'immédiat ou le très proche. Les échéances à plusieurs années de distance retiennent alors peu l'attention ; les hommes politiques sont souvent accaparés par les difficultés qui surgissent au jour le jour, ils croient que de la manière dont ils parviendront à les ajourner, dépendent les applaudissements qu'ils recueilleront.
Cette attitude repose sur un jugement erroné à l'égard d'un pays comme le nôtre, que son bon sens et sa maturité rendent apte à entendre toutes les vérités. L'homme d'Etat doit le savoir et toujours peser l'incidence de chacune de ses décisions sur le destin du pays ; il lui faut diriger son regard plus loin que les obstacles quotidiens, vers ces horizons qui sont, en vérité, les vôtres (...)
N'hésitez pas à prendre part à la vie politique, qui sans votre inspiration risquera toujours de retomber dans les vieilles ornières...
Ayez constamment présente à l'esprit la relation étroite et quotidienne qui existe, et qui maintenant existera de plus en plus, entre vos préoccupations, vos soucis, vos besoins, et l'action d'un grand Etat, qui, après tant d'épreuves, veut se refaire, veut se redresser. Comprenez le rôle que vous pouvez jouer, la contribution dans la marche en avant que vous pouvez apporter. Décidez dès aujourd'hui de peser de toutes vos forces sur la destinée nationale, préparez de vos propres mains l'avenir plus heureux et plus juste auquel vous avez droit. Soyez enfin, au sens le plus riche de ce mot, des citoyens ! "
Extraits du message à la jeunesse de Pierre Mendès France in "Gouverner, c'est choisir" décembre 1955.
En dehors de sa beauté formelle ce texte reste, 50 ans après, d'une belle actualité, il a le charme des vieux films que l'on redécouvre, qui n'ont pas pris une ride, et qu'il faut savoir revisiter avec humilité et optimisme.