Certains de mes amis, gentiment, me reprochent d'avoir la dent dure pour les communistes et la gauche de la gauche, et me disent, toujours gentiment, que je devrais aussi décocher mes flèches sur les roses pales, et bien sûr, ceux de l'autre rive. Pour ce qui concerne ma famille, laissez-moi le soin de régler nos différents entre nous. Pour les gens d'en face, sauf bien sûr ceux de l'extrême droite, je me contente de constater qu'ils sont parties intégrantes de la démocratie, la deuxième branche de l'alternative. Comme Karl Popper, je pense que la démocratie politique, le pire des systèmes à l'exception des autres, ce n'est pas le pouvoir du peuple, mais un système où, grâce aux élections, le peuple peut changer de gouvernants, sans coup d'Etat ni parricide. Pour ceux que ça intéresse, je conseille la lecture du dossier " Autour de L'Extrême Gauche plurielle " paru dans la Revue le débat n°142 novembre-décembre 2006 Gallimard. En amuse-bouche, si je puis m'exprimer ainsi, je vous propose des extraits d'une contribution " La fin sans fin de la gauche extrême " de Bernard Poulet. Je me retouve dans les propos de l'auteur.
" L'extrême gauche en France est à la fois - dans sa version troskiste - un passé qui ne passe pas et - dans sa version ATTAC ou Toni Negri - une manière de poser des questions au futur avec l'ambition d'en faire une théorie. Elle est également l'expression d'une difficulté française à accepter le marché et parfois la démocratie. C'est enfin une hypothèque sur le fonctionnement de la démocratie politique puisque l'extrême gauche pèse plus de 10% des suffrages exprimés dans les élections. D'où le grand intérêt du travail de Philippe Raynaud - le coordinateur du dossier - qui ne se contente pas de faire la description de ce qu'il qualifie de "magma socialement et culturellement assez hétérogène", mais veut, en philosophe, en comprendre les fondements intellectuels et idéologiques.
Il montre bien comment les trois principales organisations trotskistes perpétuent un discours explicitement communiste, n'excluant pas la violence, en vertu d'une supposée virginité morale que leur auraient conférée leur dénonciation permanente du "stalinisme" et le statut de victime endossé par le trotskysme. Discours que le PCF - beaucoup plus "coupable" face à l'histoire - n'ose plus assumer lui-même.
A ce propos, Philippe Raynaud soulève un point très important du nouveau climat idéologique en France, qu'il définit comme le "révisionnisme antirévisionniste" ou l'"effacement progressif de la réflexion anti-totalitaire". Tout se passe en effet comme si le totalitarisme communiste, absous au nom de ses supposées bonnes intentions, n'avait plus de compte à rendre. Comme si le " Livre noir du communisme " avait été effacé par le " Livre noir du colonialisme ", comme s'il s'agissait de faire réviser François Furet par tous ceux qui se sont beaucoup trompés, de nouveau fiers d'avoir eu tort avec Sartre. Ce retournement a permis au PCF de s'absoudre de presque toute responsabilité, d'éviter un quelconque bilan, ce qui n'est pas étranger à cette "exception française" qu'est la permanence de l'extrême-gauche.
Philippe Raynaud, trop fin pour se laisser duper par les apparences, a le mérite de bien signaler, notamment à ceux qui votent pour les candidats trotskystes et aux commentateurs médiatiques trop présentéistes, ce qui survit toujours derrière les minauderies populiste de la retraitée du Crédit Lyonnais, Arlette Laguiller, ou le modernisme jeuniste du petit facteur, Olivier Besancenot, " version à peine relookée de l'orthodoxie trotskyste traditionnelle".
Il rappelle, impitoyablement, comment le gauchisme français pu faire les yeux doux aux terroristes (ceux d'avant le 11 septembre 2001), comment il a continué à penser la "violence de classe" ou la collectivisation totale ou partielle de l'économie, et comment il a cultivé un anti-sionnisme parfois très ambigu. Il insiste sur ce dernier point et montre que ces ambiguités ont pu nourrir un nouvel antidémitisme, certes peu trotskyste ni même maoïste, mais décomplexé au nom de l'anti-impérialisme et de la dénonciation Bush-Sharron. La même ambiguité dangereuse, souligne-t-il, est entretenue par plusieurs secteurs de la gauche radicale sur des questions aussi explosives que les rapports avec l'islamisme (l'attitude à adopter vis à vis de Tariq Ramadan, par exemple), le foulard à l'école ou l'histoire coloniale. Mais il explique aussi que chacune de ces questions suscite des conflits à l'intérieur de l'extrêm-gauche. Car au-delà des cortèges "unitairez" cette mouvance est très divisée (...)
à suivre page 106 de la revue le débat. Bonne lecture !