De fringant jeune mâle énamouré je passai à chiffe molle éberluée pointant grossièrement du doigt ce nom célèbre - en ce temps reculé on n'utilisait pas le qualificatif people - en balbutiant " c'est lui..." Ma Marie acidulée se gondolait gentiment " mais oui, mon Benoît, c'est lui... C'est un monument qu'il te faudra affronter par la face nord dimanche. Pour la minute contente-toi de maman. Elle c'est tout simple. Tu l'écoutes, elle adore ça..." Je bardai ce qui me restait d'énergie pour carillonner. Madame mère nous ouvrit dans un froufroutement vaporeux. Elle tenait du cygne et de l'échassier. Marie lui claquait une bise sur le front avant de me présenter d'un "c'est Benoît" si familier que j'eus du mal à me saisir de la main fine et blanche qu'on me tendait. Gauchement je l'agitais. On m'invitait, sourire narquois accroché à des lèvres discrètement peintes, regard mi-ironique, mi-étonné sous de longs cils, à m'asseoir sur un canapé blanc et long comme un chemin de halage. Je m'y sentais perdu. Marie s'était éclipsée. " Vous n'avez pas les cheveux longs..." me disait le flamand rose en se posant sur l'accoudoir d'un fauteuil en vis à vis. En un ultime effort je me tins droit et plantai mon regard dans ses yeux tilleul afin de ne pas m'attarder sur ses jambes croisées qui saillaient entre les pans du déshabillé.
A ce constat qui semblait la combler d'aise j'opposai un sourire béat. Vite il fallait que je me ressaisisse face à cette entreprise de séduction. J'optai pour la contre-attaque. Me levai. Elle réprimait un léger étonnement en posant ses mains sur le haut de ses cuisses découvertes. Sans me soucier de ce qui montait en elle, d'un pas décidé, j'allais me planter à la verticale de sa pause provocante. Elle frissonnait et se cabrait, ce qui avait pour effet de dénouer la fine cordelette enserrant sa taille. J'affichais mon sourire le plus carnassier. Elle tentait de reprendre contenance mais la soie glissait sur l'arche de ses hanches. A l'à pic de sa chevelure permanentée je me courbai en tendant ma main. Sa maigre poitrine palpitait. Je me saisis de sa main et j'y déposai du bout des lèvres un bref baiser. Puis, tel un officier au garde à vous, gants beurre frais, planté face à elle demi-nue, je lui fis cette étrange déclaration " madame si Marie n'existait pas je vous aurais fait l'amour sur le champ. Vous êtes belle et désirable. Je vous prie de bien vouloir ne pas m'en tenir rigueur..."
Pure invention de ma part que ce tableau vaudevillesque railleront les sceptiques. Ne leur en déplaise il en fut ainsi et je soupçonne fort ma tendre Marie d'en être l'auteur. Pour m'éprouver ? Non, je ne le crois pas. Plutôt pour solder de vieilles histoires mère-fille. Ma déclaration emplit le regard tilleul d'une fine brume dont je profitai pour l'aider à se remettre sur pied. Elle n'opposa aucune résistance. D'une main lègère je remis de l'ordre dans sa lègère vêture en laissant, un bref instant, mes doigts effleurer la peau blanc de lait de son ventre tendu. Je crus qu'elle allait défaillir. Ses doigts enserrèrent mon poignet. D'une voix incertaine elle me dit, sans relâcher sa pression " vous êtes un gentlemen. Je vous sais gré de votre franchise et de votre délicate attention. Marie nous a tant rabattu les oreilles de vos qualités Benoît que je n'ai pu résister à les mettre à l'épreuve. Mensonge de femme sur le déclin, cher enfant, je vous voulais tout simplement..." Nous nous sommes assis, côte à côte et, comme Marie me l'avais conseillé, j'ai écouté sa mère parler. Me parler d'elle, bien sûr. Quand ma frippone nous a rejoint, son petit sourire mutin, en disait plus long qu'un long discours.