Le restaurant El Gallo Azul, à Jerez de la Frontera, installé à l'étage d'un curieux bâtiment du XIXième siécle, au-dessus d'un bar à tapas animé et bruyant, a un charme particulier, celui d'une bourgeoisie marchande, très british. La salle en rotonde est très cosy, le service attentif et la cuisine raffinée. On y décline bien sûr tous les types de Xérès ou de Sherry : Fino, Manzallina, Amontillado, Oloroso, Cream Sherry de la maison Domecq. J'avoue humblement mon ignorance et mon peu de plaisir à déguster ce vin viné. Mais qu'importe, ce qui me fascine c'est l'histoire du Xérès. En effet, Jerez de la Frontera, en dépit de la renommée de ses chevaux et de son flamenco, ne serait aujourd'hui qu'une ville andalouse endormie, si ce vin au goût étrange, solera, donc sans millésime, n'avait, grâce aux anglais, fait le tour du monde. Comme pour notre gros bourg charentais de Cognac, les marchands y ont été les vecteurs d'une notoriété qui, en dépit des viscissitudes du temps, est le gage de la prospérité.
Sans vouloir faire de peine à mes amis catalans ou gascons mais nos vins doux naturels : Banyuls, Rivesaltes, Maury et notre Armagnac, bien confinés sur notre bon gros marché domestique français, au chaud, après avoir créé une petite rente pour leurs producteurs lorsque la consommation était florissante, faute d'avoir affronté le vent du grand large, sont restés des produits locaux, déclinants, à l'avenir incertain. Dans une certaine mesure, c'est aussi le mal endémique d'une partie de notre production de vin : croire que c'est par une expansion volumique de notre marché domestique qu'elle retrouvera des couleurs c'est se leurrer et surtout leurrer les viticulteurs... Quand on regarde objectivement, je veux dire sans passion, l'évolution de notre consommation nationale depuis 30 ans, on s'aperçoit que, ce que certains ont qualifié de développement des AOC, n'était qu'une pure substitution de consommation : des buveurs de vins de table passaient au petit Bordeaux ou au petit Côtes-du-Rhone (et sans vouloir être mauvaise langue l'expansion du vignoble dans certaines zônes AOC répondait au même souci).
Entendez-moi bien, je ne suis pas en train d'écrire qu'il faut négliger le marché français - ce reproche m'a déjà été fait lors de la parution de mon rapport en 2001 - je me contente de constater, même si ça fait de la peine à ceux qui vilipendent la marchandisation du vin, que notre avenir et notre prospérité, bien plus encore que par le passé, est fonction de notre capacité à nous ouvrir aux influences et aux tendances du vaste monde. La concurrence a du bon chers amis. Et, de grâce, qu'on me fasse l'économie de ne pas me rejouer la petite musique de la copie du modèle dit du Nouveau Monde. Je n'ai jamais préconisé cette voie. Simplement, je demande aux beaux esprits français de réfléchir à ce type de reproche, fait dans les années 60 aux japonais, la suite est édifiante : Sony et Cie...