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16 décembre 2006 6 16 /12 /décembre /2006 00:04

Pendant que les tracteurs tournaient autour de la fontaine de cette place encore Royale, j'étais de ceux qui, installés dans la verrière de la terrasse du café le Continental, prèchaient la bonne parole à un auditoire rétif mais attentif. Le Conti c'est le QG des jeunes gens de la bonne bourgeoisie nantaise, majoritairement des étudiants en médecine car le CHU était à quelques encablures de la place. En ces temps agités les carabins, du moins ceux qui réfléchissaient, pas encore obnubilés par la hauteur de leur chiffre d'affaires ou le niveau de leur standing social, très " on fait médecine comme on s'engage dans une grande aventure ", un vrai combat, presque un apostolat, ne supportaient plus l'omnipotence des mandarins et la sclérose d'une bonne part de leur enseignement. Eux, comme les malades, devaient subir sans moufter les diktats et les caprices de grands patrons absenthéistes et pas toujours compétents. De plus ils marnaient comme des forçats pour des prunes. Notre contestation, échevelée et festive, cadrait assez bien avec leur goût très prononcé pour une langue crue et la main aux fesses des infirmières. Ils charriaient gentiment notre sabir de plomb et notre obsession maladive à nous référer à des modèles illusoires, mais nous leur rendions la monnaie de leur pièce en raillant l'illusion de l'apolitisme et la césure qu'ils maintenaient entre l'hôpital et la cité. Avant le évènements nous nous croisions dans les tonus - bals chics et chauds - aux salons Mauduit, concurrents pour les filles, acolytes au bar. Depuis que tout pétait, et que mandarins et politiques se planquaient, nous discutions ferme.

Au début de l'après-midi de ce vendredi 24 mai un franc soleil noyait la place toujours Royale. Nous étions inquiets, le Général privé de ses godillots, pour tenter de reprendre la main sur la chienlit, allait jouer le soir à la télé le énième remake de moi ou le chaos. Coincé entre le couille-mollisme de ses barons et l'intransigeance de la rue, le héros du 18 juin ne comprenait rien au film. Exaspéré par la lâcheté de ceux qui lui devaient tout, et incapable de comprendre nos ressorts profonds, il allait ressortir de son képi le coup du référendum. A cet instant de la journée nous ignorions que son intervention vaseuse allait faire un flop. Dans la touffeur de la verrière nous sentions bien que la situation pouvait basculer à tout moment, le pouvoir étant à la ramasse, les plus conscients d'entre nous, certes pas très nombreux, savions que personne n'était prêt pour le prendre dans des conditions qui nous aillent. La CGT et les alliés du Kremlin freinaient à mort, la vieille gauche agonisante, Mitterrand en tête, étaient à côté des pompes du mouvement, restait Mendès, qui faisait du Mendès, se méfiant des humeurs de la rue. En attendant, notre seule certitude, était qu'à l'Université nous détenions le pouvoir et qu'il nous fallait empocher un maximum d'avancées irréversibles avant que le reflux, que nous pressentions et craignions, nous renvoie dans nos amphi. 

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