Voici revenu le temps de la révérence, de nouveau on fait attention à vous, on s'inquiète de vous, on sent même poindre sous la déférence une forme de crainte. Ainsi va la France de ceux qui en sont et celle de ceux qui veulent en être, elle sait courber l'échine, vibrionner, ondoyer, mettre son mouchoir sur son amour-propre, jamais atteinte par le syndrôme du chant du coq. Comme la foule, celui ou celle qui sert le public près du pouvoir, et qui par un étrange mimétisme s'identifie à lui, est versatile. Il ou elle enscence, flatte, se pousse du col, adapte sa pensée et ses écrits au courant dominant, sans pour autant se priver de volter, le moment venu, pour se placer dans les nouveaux vents portant. Rien de bien nouveau me direz-vous, l'homme est ainsi fait, ses fidélités ses sincérités, comme ses amours, sont successifs.
La passation des pouvoirs entre locataires d'un portefeuille ministériel, lors des mouvements de balancier, est un grand moment de l'expression de la révérence. Quel bonheur de voir le moutonnement, les manoeuvres d'approche du petit monde des happy few, ceux de la maison comme ceux des OPA. Ils sont sur leur trente-un. Les plus hardis, avec une forme innée de l'à propos, se sont placés au premier rang, ce qui leur permettra, dès la fin des speechts, de fondre sur le nouvel arrivant. Les astucieux, l'air dégagé, attendront le moment où, comme par le plus heureux des hasards, le chef se trouvera à leur portée. Restent ceux, forts de leur appartenance au clan, qui attendront que les collaborateurs du premier cercle du Ministre tire celui-ci jusqu'à eux.
Lors d'une dissolution délicieusement ratée, alors que je coulais les jours heureux d'un PDG, j'ai vécu un sommet de la révérence. J'aurais du m'en douter puisque dès l'annonce des résultats mon téléphone s'était transformé en standard à l'heure du Téléthon. Que du beau monde s'inquiétant de mon avenir. Vous en êtes ? Bref, au début de l'après-midi, au 1er étage de l'Hôtel de Villeroy, la cérémonie. Le grand Louis, avec son large sourire, succède à un Philippe sous le choc. Courtoisie de rigueur. Je papote au fond de la salle à manger. Les mouvements classiques de houle révérencielle vont et viennent. Soudain une main se pose sur mon épaule, Louis le Finistérien, homme de la mer, m'invite à le suivre dans son bureau. Je sens le poids des regards. Ils s'imaginent. Le il faut que je te parle est plus qu'un adoubement c'est l'onction absolue d'avoir l'oreille du Patron. Louis m'avait pratiqué au temps de son passage au DOM-TOM, nous aimons bien tous les deux le petit Michel, l'homme à la grosse serviette et au phrasé de mitraillette. Louis cherchait ses marques dans cette grande maison à haut risque que je connaissais bien. J'allais l'aider, lui donner un coup de main. Rien de plus, mais le fait d'avoir été son premier invité fit de moi un homme d'influence. La révérence est une affection chronique sans thérapie connue, comme le ridicule elle ne tue pas...