L'état de droit, pour ceux qui n'ont jamais vécu dans un pays totalitaire où l'arbitraire des pouvoirs d'Etat est absolu peut paraître une évidence, un concept juridique sans contenu, un acquis. Les récentes affaires, Outreau entre autres, où des vies ont été fracassé par l'obstination et la cécité imbécile d'un petit juge ambitieux, par l'indifférence de ceux en charge de le contrôler, devraient nous amener non à réagir, mais à réfléchir et surtout à éviter d'entrer tête baissée dans la mécanique infernale du sensationnalisme des médias et au venin d'il n'y a pas de fumée sans feu. La présomption d'innocence est un bien trop précieux, l'expression la plus forte de notre état de droit, pour que face à certaines dérives, en tant que citoyen, nous restions les bras croisés.
Ce matin j'apporte à Julie Campos et Amaury Cornut-Chauvinc mon amitié et mon soutien dans l'épreuve qu'ils subissent. Je leur dis tenez bon, gardez la tête haute, ceux et celles qui ont de l'estime et de la considération pour ce que vous êtes et ce que vous faites vous gardent leur confiance. La justice des hommes doit s'exercer loin des passions, de la foule versatile et surtout respecter ses propres règles en évitant de jeter en pâture des citoyens présumés innocents. C'est l'honneur et la grandeur des démocraties que de tenir bon face aux dérives d'une société avide de sensationnel confortée en cela par des médias violant le secret de l'instruction.
Pour ma part, ayant dans l'affaire du Crédit Agricole de la Corse été entendu comme témoin - j'étais chargé du dossier Corse au cabinet du Ministre entre 1988 et 1990 - j'ai eu la désagréable surprise de découvrir sur l'internet, de la part d'un ragotier en mal de sensationnel, des insinuations et des sous-entendus basés sur une réthorique imparable : toute personne qui entre dans le cabinet d'un juge d'instruction est un coupable potentiel. C'est très grave car le juge instruit à charge et à décharge, il fallait donc que ce magistrat puisse remettre les faits dans leur contexte en auditionnant toute personne en capacité de nourrir son dossier. Des directeurs du Ministère eux aussi avaient été entendus, mais ce n'était que du menu fretin pour les délateurs, un ex-dir cab ça fait saliver dans les chaumières. Dans cette affaire, j'ai eu droit, à une pleine page dans un journal local : le Monde avec même un encadré où mon témoignage transcrit dans le PV était soumis à un autre témoin mineur : Pierre Joxe, Ministre de l'Intérieur à l'époque, et Premier Président de la Cour des Comptes lors de sa déposition. Témoin j'étais entré, témoin je suis sorti et ma vérité valait celle d'un plus puissant que moi...Tout ça pour quoi ? Pour alimenter le populisme des tous pourris. Comme si le témoin d'un accident par le fait même de sa présence sur les lieux puisse en être jugé responsable.
Dans la vie que l'on vit, seuls les bras croisés, les yaka, les fokon, s'exonèrent à bon compte, lapident ceux qui agissent, qui prennent des risques, le risque de croiser des escrocs, de travailler avec des gens sans parole, le risque de faire dans le cambouis du quotidien, le risque parfois - et je l'écris - de sa vie comme Lucien Tirroloni le président de la Chambre d'Agriculture de Corse du Sud, qui était mon ami, et qui a été lâchement abattu par des soi-disant "purs". La santé d'une démocratie se mesure à la capacité des médias d'informer les citoyens sur la face cachée des "grands de ce monde" mais à la condition de tirer ses informations non dans les poubelles, les rumeurs d'officines, mais dans l'enquête sérieuse et vérifiée. Souiller, bafouer l'honneur d'hommes et de femmes innocents est trop souvent une marque indélébile, un sceau d'infâmie intolérable.