Il est arrivé jeudi dernier. Moi, comme j'ai été soumis aux fantaisies de la Postale, " Le Beaujolais nouveau est arrivé " samedi. Bref, avec une semaine de retard, je cède la plume à René Fallet. Je vous offre quelques extraits. C'est gentiment désuet mais ça fait plus de bien que les pauvres mots lourdauds de Perrico...
Et du Nord au Midi, comme tous les 15 novembre, un printemps d'affichettes bleu ciel, rouges, orange, vertes, fleurit aux vitrines des débits de boissons, pour annoncer aux passants mornes que le petit Jésus du vin était né. Et les passants mornes s'éclairaient à la vue de ces papillons, et une goutte de rubis tombait sur leur vie grise, leur demeurait à la lèvre en confetti de sang...
LE BEAUJOLAIS NOUVEAU EST ARRIVE !!! Ce Te Deum éclatait sur Paris, sur toutes les grandes villes, roulait dans leurs artères, chantait Montmartre et Contrescarpe, défilait dans la rue StDenis, tintait louis d'or sur tous les zincs où se pressait le peuple pour voir et toucher le divin enfant de l'année (...)
Le Beaujolais nouveau est arrivé, la fête est revenue pour quelques jours, fête tuée par l'armée des pisse-vinaigre mais ressucitée en cachette par les chante-la-joie increvables comme elle (...)
Le Beaujolais nouveau est arrivé ! Coquinet de la cuisse, un poil canaille, sans soutien-gorge, un rien pute, léger et court vêtu, un brin muguet, un brin de fille, un doigt de Dieu, un doigt de cour. Il coulait source dans les hommes, il ne repartirait qu'en leur laissant au coeur le plus clair de la vie, la vertu d'un sourire (...)
Il voyageait aussi, ce doux cul-terreux de la Saône, ce joli voyou de la Guillotière, que les anciens paraient du nom superbe et royal de " Fils de l'amour ". Il prenait l'avion, ce fils de la terre, et s'en allait à l'autre bout, fils du soleil, porter la bonne parole, la bonne aventure aux quatre coins, chez les Anglais, les Canadiens et les Américains. New Beaujolais is here ! En Allemagne et en Belgique, ce fafardet soufflait la mousse de la bière, le temps d'une embellie. En Suisse, sonvoisin et son premier client, il prenait l'accent de Lausannne pour crier "coucou!" dans le fond des bouteilles.
" Me voilà, je suis arrivé ! ", commençait-il partout. Et puis il pérorait avec les mains, bousculait l'éventail politique, perdait le fil, le retrouvait, touchait une paire de fesses par-ci, une paire de seins par-là, tendrement dingue, si gentiment zin-zin qu'on lui pardonnait tout ainsi qu'à un enfant gâté.
La suite à l'avenant, ça fleure bon la gaudriole à la Bérurier, qui carburait au Juliénas, ça sonne comme du Brassens paillard, ça ne se prend pas le chou, c'est gentiment déconnant, un autre temps. Le temps de la France des années 75, tristounette, post-pompidolienne avec sa voie sur berge et ses tours, celle des éboueurs à Elysée et de la majorité à 18 ans...
Pour moi ce n'est juste qu'une piqure de rappel pour que vous cessiez de penser que le Beaujolais n'existe plus une fois passée cette belle journée. On peut en boire toute l'année. Je vous préviens que, lors des Assises de la Convivialité, Bernard Pivot, qui est très à cheval sur le sujet, vous fera réciter la litanie des crus du Beaujolais, du plus corsé au plus fruité : Moulin-à-Vent, Juliénas, Morgon, Chenas, Fleurie, St Amour, Régnié, Brouilly et Chiroubles...