" Fondamentalement, un ministère se compose du ministre et de ses services. Le cabinet n'est nullement un protagoniste à part entière, ayant en propre sa légitimité, sa compétence et sa fonction. Il n'a que celles que lui octroie le type de relations entre ministre et administrations. Tantôt le premier est assez sensiblement assujetti aux secondes, et les conseillers sont les interprètes plus ou moins fidèles des directions, davantage que les courroies de transmission de la volonté gouvernementale. Tantôt ils impriment effectivement la logique politique, mais alors ils parlent et agissent au nom et pour le compte de leur "patron". Car la fonction de ministre, en fait, n'est jamais individuelle. Il n'est de ministre que collectif : " le titulaire du poste+son cabinet ".
Qu'on ne s'y trompe pas : une telle affirmation ne signifie nullement que les membres du Gouvernement seraient des personnes sous influence aux mains d'une équipe qui les manipulerait. Plus prosaïquement, une part considérable du temps qu'un ministre consacre à son activité est dévorée par des fonctions tenant de la représentation, réduisant ainsi à la portion congrue - ou plutôt incongrue - les moments disponibles pour le travail de fond. Aussi, et parce que l'adoubement présidentiel ne suffit pas à conférer l'omniscience, le ministre se démultiplie en autant de parties que son cabinet compte de membres.
La question essentielle n'est donc pas de savoir comment l'équipe se situe entre le ministre et ses services - elle est le ministre collectif - mais porte sur la manière dont les membres du Gouvernement utilisent les moyens que leur offre cette démultiplication. En exigent-ils des informations, des conseils, des décisions ? Veulent-ils accaparer ou déléguer ? Toutes les combinaisons, avec tous les dosages, sont possibles entre ces divers éléments. "
Ce texte est un extrait d'un article " Typologie des cabinets " publié dans la revue Pouvoirs en 1986 par Guy Carcassonne. Guy et moi nous nous sommes rencontrés à la buvette de l'Assemblée Nationale en juin 1981, lui étant conseiller du président du groupe rose et moi conseiller du Président de l'AN. Nous étions fous, non du chocolat Lanvin, mais des maccarons de la buvette. Par la suite, en 1983, nous nous sommes retrouvés voisins dans la galerie Sully, lui conseillant le Ministre sur les questions d"enseignement agricole (loi Rocard sur l'enseignement privé agricole votée à l'unanimité) moi pataugeant déjà dans le marigot viticole (accords de Dublin). Guy est un ami, un expert : agrégé de droit constitutionnel, il chronique dans le Point, c'est un type original, sapé décalé, doté d'un humour corrosif, et la typologie qu'il donne des cabinets ministériels : 1. Les copains, 2. Les enfants, 3. Les valets, 4. Les lieutenants est un régal. Je vous la livrerai, par paquet, dans des chroniques futures.