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4 octobre 2009 7 04 /10 /octobre /2009 00:09

Jasmine voulait accoucher en Corse. Je tentai de la dissuader, en arguant de l’infériorité des équipements hospitaliers insulaires, sans succès. Elle me rétorqua que de toute façon elle voulait accoucher à la maison et qu’elle avait déjà trouvé, par l’une de ses amies dont les parents habitaient Cargèse, une sage-femme sur l’Île, une perle, ajoutait-elle, qui avait accouché toute la famille de sa copine, y compris la dite copine. Pour finir de m’ébranler elle rameuta ce faux-cul de Raphaël, bien sûr au courant des projets de la future mère et qui, bien évidemment, trouva l’idée formidable. Dernier argument massue asséné d’un air préoccupé : « Pour un futur père, je te trouve bien pâlichon, sortir de ta tanière et prendre l’air du maquis te fera du bien… » De toute façon tout était bouclé, je n’avais plus qu’à suivre le mouvement. Je le fis de bonne grâce car je ressentais le besoin de briser la monotonie de mes jours et de mes nuits. J’avais forci. En dépit des protestations de Jasmine sur le charme de mes poignées d’amour je m’appliquai pendant toute une semaine une règle monastique : de l’eau et des figues sèches. Ma mauvaise graisse se consuma et je rentrai de nouveau dans mes jeans. Raphaël nous précéda. Tout avait été longuement prémédité. Je ne sais comment, lui et Jasmine, avait dégoté une Méhari verte de l’ONF, qu’ils avaient fait repeindre en jaune canari et immatriculer 2A. Le départ au petit matin de celle-ci, pour l’embarquement à Marseille sur un ferry de la SNCM, bourrée comme un œuf de bagages emplis de tout ce qui allait être nécessaire au futur nouveau-né, avec Raphaël au volant, fagoté comme un conducteur du début du siècle, me fit vraiment prendre conscience que j’allais être père.

Même si toute la layette était rose bonbon, nous ignorions officiellement le sexe de l’enfant, Jasmine voulait tout faire à l’ancienne ce qui signifiait que j’avais été exclu des visites prénatales et que je le serais aussi, selon ses dires, de l’accouchement. Sur ce point, avec l’appui de Raphaël, je fis de la résistance avec tous les moyens de chantage à ma disposition et, de guerre lasse, j’obtins gain de cause. Pour revenir un instant à l’élucidation du mystère du sexe de l’embryon, Jasmine s’était soumise au test de l’anneau pendu à un cheveu tenu par Raphaël, dont les oscillations avaient, bien mieux que l’écographie, selon les dire des deux larrons, indiqué à coup sûr que ce serait une fille. Moi, ce qui me fascinait, c’était l’observation, chaque soir, de la tectonique du ventre de Jasmine. Celle à qui j’avais légué la moitié de ma bibliothèque de gènes s’y révélait une Betty Boop pleine d’entrain. Sous la peau bien tendue, indemne de vergetures, la pointe de ses pieds traçait, tel l’aileron d’un requin, des zigzags fulgurants. Parfois, elle se contentait de tapoter au plafond comme si elle nous annonçait sa prochaine venue. J’étais ému. Certains soirs, du bout des doigts, j’effleurais le velours doux du ventre de Jasmine, indiquant à la locataire ma présence et, en retour, la future diablesse, se laissait aller à me faire du pied. Je savais d’expérience, ayant de mon séjour dans le secret du bain amniotique des souvenirs précis, que la graine fécondée, ébauche parfaite de ce corps qui nous portera tout au long de notre vie, devait être prévenue du caractère déterminé, fini, du temps qu’elle passait à se la couler douce.

La paternité tardive, liée à la fécondation d’une jeune et belle pousse par un déjà presque vieux, jouit d’une très mauvaise presse surtout auprès des jeunes mâles qui prennent sans doute ombrage de voir un amorti empiéter sur leur terrain de conquête. Dans le hall 2 d’Orly, un bel échantillon d’entre eux, trois musculeux chics tatoués, crane luisant avec lunettes de surfeurs et boucle d’oreille, pantacourt et marcel genre sous-produits de l’armée, petits écrase-merdes à 200 euros, cousus par des Philippins, aux pieds, me lançaient des regards mauvais. Ces nouveaux baufs, pas encore trentenaire, s’ils avaient pu me coincer dans un couloir désert, m’auraient éclaté la gueule. Pour les porter à l’incandescence dans la file d’attente précédant le contrôle de police j’effleurais à plusieurs reprises le petit cul de Jasmine qui tendait le coton de sa robe chasuble de femme enceinte. Elle frétillait et me lançait d’un air canaille « Tel que je te connais, toi, je suis sûre, que tu rêves de faire l’amour avec une hôtesse de l’air sur un Paris-New-York...»  Le trio, immobilisé quelques mètres en amont, la fixait avec l’intensité d’une bande de charognards en attente de leur pitance. « Disons plutôt sur Paris-Nouméa petit cœur ça me laisserait plus de temps pour me faire tout le lot des PNC de sexe féminin... » Du tac au tac, les mains posées sur son ventre rebondi, elle me toisait « bel exemple pour notre fille ! » Ce notre me chavirait. Je déposais un baiser sur sa bouche faussement courroucée. « Toi tu vas être un vrai papa-gâteau... » concluait-elle en reprenant sa progression vers la garde-chiourme préposée au contrôle des cartes d’embarquement. Dans la file, les trois compères avalaient leur fiel avec la fausse décontraction de ceux qui se jouent un film pour oublier l’ennui de leur petite vie. Je me promettais, une fois dans la salle d’embarquement, de leur en donner pour leur argent.

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