Le côtes-du-rhône de comptoir a existé j’en ai embouteillé plusieurs millions de litrons étoilés du côté de port de Gennevilliers. Mais pourquoi diable exhumer en plein été ce brave vin de comptoir disparu, ou presque dans les oubliettes des bistrotiers ? Deux raisons, tout d’abord j’en ai « croisé » un au hasard d’une mes lectures : 69, année politique, publié au Seuil, de Francis Zamponi, un ancien du SAC, sur la fameuse affaire Markovic destinée à éclabousser le couple Pompidou (c’est pour les besoins de mon roman du dimanche qui a ses adeptes. Ceux qui voudraient obtenir l’intégrale peuvent me la demander par les voies électroniques habituelles) ; ensuite parce que l’irruption dans notre univers des AOP-IGP devrait inciter de grands bassins de production, tel que celui de la vallée du Rhône, et d’autres bien sûr, à réfléchir, et surtout à décider, s’il ne serait pas temps de sortir de l’ambigüité en donnant des successeurs à ces braves vin de comptoir. En clair à ne plus fourrer dans le même tonneau des AOP des vins qui auraient mieux leur place en IGP. Je pose la question. La réponse ne m’appartient pas mais comme maintenant tout ce beau monde se retrouve à l’INAO elle sera sans aucun doute donnée très prochainement.
Prenez la peine de lire ce texte qui en dit long sur la réputation du côtes-du-rhône de comptoir. Pour faire bon poids j’ai ajouté 3 Bonus : tout d’abord une réflexion sur l’état alcoométrique du brigadier de gendarmerie lorsqu’il s’est remis au volant de sa 4L de service ; ensuite un bonus sur le « bourgogne déclassé » dont il est question plus loin lors d’un passage sur un dîner très parisien ; et enfin, toujours au cours du même dîner, un jugement sans appel sur la qualité du cabernet californien.
Mardi 1ier octobre 1968. 12 heures
La 4L bleue de la gendarmerie fit crisser le gravier et s’intercala de justesse entre un camion-citerne et une bétaillère. Les routiers levèrent la tête de leurs assiettes et interrompirent leurs engueulades sur les qualités gustatives du Boursin à l’ail qui, avaient proclamé les journaux, allait le soir même la première apparition de la réclame sur les écrans de l’ORTF. Dans le silence, le patron s’immobilisa, sa bouteille de côtes-du-rhône de comptoir à la main. Dès qu’il vit le visage du gendarme, il reprit son sourire professionnel.
- Bonjour, la compagnie. On peut encore manger ? On sera deux.
Immédiatement, les langues et les fourchettes reprirent du service. Le patron fit un signe et Marie, la jeune serveuse, installa le brigadier dans une petite salle attenante et déserte.
- Mettez-vous là, vous serez plus tranquilles. Vous ne serez pas gêné par le bruit.
Le patron s’approcha de la table.
- Bonjour chef, chef. Un petit Pernod ?
- J’attends un ami. En principe, il devait me suivre. J’espère qu’il ne s’est pas perdu en route.
- Un parisien ?
- Un inspecteur de la police judiciaire. C’est pour le cadavre* qu’on a retrouvé à Elancourt ce matin.
- Dans la décharge ? Ah oui, j’en ai entendu parler. Un clochard ?
- Je n’en sais encore rien et de toute façon, ce n’est plus mon problème. Il y a une heure, un juge de Versailles est venu faire un tour sur place avec la proc et il nous a retiré l’enquête pour la confier à la PJ. Ah, voilà mon invité ! Asseyez-vous, inspecteur. Vous êtes ici chez Jacky.
- Jacky, je vous présente l’officier de police judiciaire Jean Rioullens, du SRPJ de Paris, section de Seine-et-Oise. Je lui ai assuré que votre table valait le déplacement. Ne me faites pas mentir.
- Vous tombez bien. Hier je suis allé au marché à Houdan, les poulets, c’est leur spécialité. Si vous voulez essayer la fricassée aux morilles de ma femme…
- Je vous fais confiance. D’accord pour la fricassée.
- Et un peu de vin rouge, Jacky. Pas celui du comptoir hein !
- * c’est le cadavre de Stevan Markovic garde du corps d’Alain Delon.
1ier Bonus :
Le brigadier et l’OPJ se sont sifflé deux boutanches de vin bouché, puisque ce dernier répond dans la conversation « vous pouvez m’aider en demandant au patron de nous remettre une bouteille » et se sont offerts des pousse-café. Faites le calcul !
De plus ils reprennent la 4L dont les pneus sont lisses vu l’absence de crédit pour les changer. En 1968, c’était vraiment la chienlit.
2ième Bonus (autre passage) :
Les convives se récrièrent pendant que le maître d’hôtel, un vieux marocain coiffé d’une superbe chéchia rouge, servait sérieusement du vin en carafe.
- Il n’a pas le droit à l’appellation « bourgogne » mais c’est un vrai chambertin, précisa le maître de maison. Il a été déclassé pour cause de récolte trop abondante. C’est un de mes agents électoraux, par ailleurs négociant en vins, qui me le procure.
- Ah, ces vins déclassés ! intervint le critique gastronomique de Minute qui suivait d’un regard suspicieux les gestes du maître d’hôtel marocain. Ils sont aux gastronomes ce qu’est à l’amateur d’antiquités la commode Jacob découverte au fond du grenier. Personnellement, au cours d’une petite virée dans le Bordelais…
3ième Bonus :
- Eh oui la Bourgogne, le Bordelais, le Beaujolais ! En France, nous ne nous rendons pas compte de notre bonheur. Nos amis américains possèdent certes bien des richesses comme les hot-dogs ou le Coca Cola. Ils arriveront peut-être à nous imposer ces produits auxquels j’avoue ne pas avoir goûté mais ils ne risquent pas de nous concurrencer en matière d’œnologie. Croyez-moi, pendant les deux semaines que je viens de passer à New-York, j’ai bu de très bon bourbon et des bières fort convenables, mais ce qu’ils baptisent, avec leur accent que je ne parviens pas à imiter, un cabernet de Californie, même le plus pauvre paysan français n’oserait le qualifier de vin.
NB. L’homme qui s’exprime est critique de théâtre au Figaro.