Et pendant ce temps-là La Cause du peuple couvrait le terrorisme de mille fleurs, ses rédacteurs frustrés, dans leur prose toujours aussi lourdingue, posaient sur lui des regards énamourés qui déplaisaient fort à Marcellin qui faisait embastiller ses directeurs de publication successifs : Le Dantec et Le Bris, rien que des petites pointures. Pour juguler l’hémorragie, les maos sollicitaient Sartre soi-même en se disant que le pouvoir n’oserait jamais mettre à l’ombre le vieux fumeur de Boyards. Il acceptait. Mauriac, dans l’un de ses derniers blocs-notes du Figaro Littéraire, le 28 mai 1970, juste avant sa mort, ironisait méchamment « Il suffit que Sartre assume la direction d’un journal qui veut tout mettre à feu et à sang pour que ce journal devienne anodin… Sartre est incurablement inoffensif » Du côté de la CGT de la Régie et du PC, les camarades, eux, n’appréciaient guère le caractère anodin des coups de barre de fer des « établis » - intellos travaillant sur les chaînes - de l’Île Seguin. La coupe débordait, Bernardini était dans le coma. Ils décidaient de faire un exemple. À la pause de midi, un commando de soixante-dix militants, conduit par le barbu Certano, fondaient sur la chaîne de la sellerie au 2ième étage et embarquaient Bouboule un mao particulièrement grande gueule, fils d’un grand chirurgien, pas un perdreau de l’année puisqu’il passera 4 ans en usine. Le transport, sur plus d’un kilomètre, par la rue Emile Zola qui traverse l’usine du Sud au Nord, fut du genre cochon mené à l’abattoir. Arrivés à la porte Zola, côté Boulogne, les jeunes cégétistes voulaient le foutre à la baille mais la vieille garde les tempèraient et ils se contentaient de balancer le Bouboule sans ménagement sur le bitume. Dans la foulée celui-ci se retrouvait viré de la Régie ce qui permettait aux maos de hurler à la collusion Direction-CGT et ils n’avaient pas tout à fait tort.
Du baston entre les cocos et les frelons ça me donnait des fourmis dans les jambes et, comme sous les ors de l’hôtel de Roquelaure mes coéquipiers géraient au mieux l’archange, avec Chloé, nous décidâmes de faire un retour en force dans le giron de la Gauche Prolétarienne qui, depuis le 27 mai 1970, était une organisation interdite. Ça pimentait notre retour. Nous y fûmes accueillis avec l’aura de ceux qui, de retour d’Italie – c’était notre version pour expliquer notre longue absence – apportaient au chef officiel, Benny Levy alias Pierre Victor, des nouvelles fraîches du véritable front où le combat venait de réellement commencer. Celui-ci, tapi au fin fond de Normale Sup se la jouait Grand Marionnettiste clandestin tirant les ficelles de sa bande de peine à jouir. Clandestinité d’opérette bien sûr, la grande maison avait des zoreilles partout. Notre venue annoncé, avec tambours et vents, par notre vieille connaissance Gustave la balance fit de l'effet sur la troupe inquiète. Cette raclure, retournée comme une crèpe à mon seul profit se gaussait d'être le chouchou de Maurice Clavel et de la Marguerite Duras. Avec son bagou et son accent ch’timi il paradait de plus en plus ce qui limitait beaucoup son activité militante et son utilité mais, comme il continuait de bénéficier auprès de l’état-major de la GP d’un crédit important lié à son statut de représentant des larges masses, je bénéficiais encore par lui d’infos de première mains que je balançais à ma hiérarchie. Celle-ci avait baptisé le nid de frelons pot au miel, le commissaire Bertrand ne manquait pas d’humour et me considérait comme son meilleur infiltré. Le plus drôle dans cette affaire c’est que jamais aucun de ses fins limiers ne détecta ma présence dans l’entourage du Ministre de l’Equipement et du Logement. Nous vivions une époque formidable.